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«Apocalypse 2024», un film d’initiation à hurler de rire9 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: La coronarétrospective du cinéma d’anticipationJonas Follonier

Il y a en a des choses à dire, sur un film pareil. Une vraie découverte, pour moi qui connaissais si mal les univers de science-fiction et les films d’anticipation. Apocalypse 2024 (A boy and his dog) est à la fois un puissant divertissement et un conte initiatique, que je vous recommande chaudement en cette période où nous avons le temps de redécouvrir l’histoire du cinéma. Récit.

Si un plaisantin m’avait dit que je prendrais sept pages A4 de notes devant un film de science-fiction, je lui aurais ris au nez. Et pourtant… la curiosité que nourrit l’esprit journalistique nous rend plus riches. Elle forge notre regard cinématographique et nous insuffle les connaissances et la sensibilité nécessaires à la découverte d’un genre. Apocalpyse 2024. Titre anglais, A Boy and His Dog. Un coup de cœur qui n’a pas tardé à se manifester face à l’écran. Emotion d’abord inexplicable, accompagnant la découverte d’un film, mais aussi d’une tradition, celle du cinéma d’anticipation, sous-genre du cinéma de science-fiction. Au fond, qu’importent les termes: les œuvres de cette nature s’aventurent à questionner le futur pour questionner le présent. J’en suis maintenant convaincu, ayant beaucoup lu et réfléchi depuis le visionnage du film.

2024 vu par 1975

2024, dans un monde qui a connu quatre guerres mondiales. Les deux premières, on les connaît. La troisième est un conflit planétaire qui a duré de 1950 à 1983, appelé «la guerre froide et chaude», clin d’œil à la guerre froide qui battait son plein en 1975, année de sortie du film. La quatrième guerre mondiale, elle, a seulement duré cinq jours durant l’année 2007, mais elle a signé la fin de la civilisation à coup de bombes nucléaires. L’histoire se passe donc dix-sept ans après la dernière guerre. Le monde ressemble à un vaste désert où il y a très peu à manger et où c’est chacun pour soi. La guerre de tous contre tous. Un monde sexiste où les hommes ne cherchent qu’une chose: pouvoir bouffer et baiser. C’est en réalité seulement un niveau du monde. Mais cette dimension-là, je vous la laisse pour que vous ayez le plaisir de découvrir l’intrigue.

Parmi les énergumènes qui peuplent ce monde aux ambiances de sale western, il y a Vic, le personnage principal de ce film inspiré par la nouvelle A boy and his dog. Comme ce titre l’indique, il est accompagné d’un chien. Le film commence par une discussion entre les deux – car oui, le chien parle, ou plutôt une voix parle à travers lui, c’est de la télépathie, et c’est très drôle – pendant que se déroule un conflit sans doute sanglant à côté d’eux. On comprend très vite que le chien a une longueur d’avance sur son maître. D’ailleurs, l’animal se nomme Prof. Il se fait ainsi le porteur d’une mémoire historique et conseille Vic dans ses agissements, de la simple aventure quotidienne à la quête de l’au-delà, où le chien veut se rendre avec son maître.

«Encore une fois, je vais te rappeler ces événements historiques. Et je t’en prie, essaie de ne pas les oublier.»

Pourquoi ce rôle de professeur-narrateur est-il attribué à un chien? D’abord, parce qu’Apocalypse 2024 est avant tout un divertissement. Une sorte de série B bien fichue. Un film qui fait rire, beaucoup rire, s’appuyant sur des variations de registres de langue, une télépathie surréaliste entre le gars et son chien, une suite de péripéties plus rocambolesques les unes que les autres, même si elles ne sont pas très spectaculaires. Le film obéit aux règles de la science-fiction avec tout ce qu’elle a de plus ridicule: monstres, méchants, mondes souterrains, bruits de bip (BIP, BIIP, BIIIIIIP), structures en métal (pourquoi le métal est-il si futuriste? comme si nous nous trouvions encore à l’âge de pierre!). Mais derrière ces pitreries, qui sont plaisantes en soi, se cache un sens plus recherché. Que l’on peut trouver avant tout dans les paroles du chien.

«Apocalypse 2024» © LQ:JAF

«Ça fait six semaines que j’ai pas tringlé»

Prof: «Il y a une femelle ici.»
Vic: «T’es cinglé?»
Prof: «Je te dis qu’il y a une femelle.»

Par ce dialogue génial, Apocalypse 2024 exploite le côté animal du chien, pour montrer qu’il est commun à l’Homme. Mais le film exploite aussi le côté «chien» du chien. Chien comme fouineur. Chien comme compagnon. Chien comme crétin. Chien comme méchant. Autant de contradictions avec lesquelles le protagoniste doit composer. Mieux, le chien est la métaphore de son maître, puisque c’est lui, le vrai maître. Ne dit-on pas que les chiens ressemblent à leurs maîtres? Eh bien, ici, le film a empiré cette réalité. Le monde d’après la guerre nucléaire est peuplé de chiens-mutants, soit aussi intelligents que les humains, soit plus. Aussi, Prof fait tout ce que Vic n’ose pas faire – hormis le viol, que d’ailleurs Vic finira par ne pas commettre, pour notre plus grand bonheur.

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Vic, il est vrai, n’est pas distingué. «Me fais pas chier! – Ça c’est très vulgaire. – Et ben justement, je suis très vulgaire. [….] Pétasse! – Je ne t’en veux pas de ce qu’on a fait, ça m’a même plu. T’as envie de recommencer?» Aujourd’hui, un pareil dialogue susciterait l’ire du Monde, de Libération, du Nouvel Obs, de Télérama, et j’en passe, simplement parce que ces médias jadis ouverts sont tombés dans la bien-pensance. Alors qu’en réalité, cette séquence drôlissime veut simplement montrer que Vic n’arrive pas à jouer les gros durs. Il est prisonnier de sa beauté et donc de sa bonté. C’est sans doute cette classe dont il est esclave qui l’empêche d’être un bad boy jusqu’au bout.

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Reste que notre «héros» n’est pas un modèle de vertu. «Ça fait six semaines que j’ai pas tringlé», dit-il au début, avant de partir à la recherche d’une femelle qu’il souhaite tout simplement trouer comme on ferait un trou dans un mur avec une perceuse. Des trous, il y en a pléthore dans ce film où les choses ne sont pas laissées au hasard. Une ouverture par ci, une cavité par là. Un orifice? En veux-tu en voilà. Et c’est ainsi que Vic découvre le corps dénudé d’une femme à travers une paroi fissurée. C’est la femme qu’il cherchait (dans tous les sens que peut prendre cette expression). La scène est voyeuriste. Erotique, surtout. Avec le modèle de femme de l’époque, fine, visage rond, cheveux blonds à la Marilyn Monroe, voix douce et enfantine, un brin bête. C’est la bête au sens propre, le chien, qui restera le vrai compagnon de Vic, parce qu’il lui dit en permanence ses quatre vérités. A commencer par celle-ci:

L’être humain pue

«En fait, tu n’es pas un type bien, Vic. Tu n’es vraiment pas fréquentable.»

Voilà ce que nous dit le film, sous couvert de dénonciation de la guerre: l’être humain, ça pue. L’être humain, ça craint. L’être humain craint d’ailleurs au sens propre: il suffit de le voir actuellement avec le Covid-19. Passée la pandémie, il aura peur d’autre chose. De l’avenir de la planète, ce qui fait écho à la notion d’apocalypse, bien sûr. Mais l’affaire est plus profonde que cela: l’Homme, par définition, craint pour sa vie comme pour sa mort. Il craint de vivre des choses éprouvantes, craint que la mort ne lui ôte la vie et craint de savoir l’effet que ça fait de mourir. La crainte est essentielle à notre condition. Aristote définissait la peur comme l’émotion qui nous prend face à un mal jugé incontournable. Vivre et mourir, les deux choses par excellence qui nous sont imposées – s’y ajoutent aussi bien sûr le père, la mère, la tante débile, le cousin ennuyeux et cette verrue que vous avez sur le pied depuis tout petit.

«Apocalypse 2024» © LQ:JAF

Quel est le contraire de la peur dans le domaine des passions selon Aristote? Le courage. Cela tombe bien, cette disposition du corps complétée par l’esprit est au centre des films post-apocalyptiques. Il en faut du courage, dans Apocalpyse 2024, pour affronter des hurleurs, en venir à bout d’hommes-machines intuables, trouver de la nourriture, dénicher une femme à qui faire l’amour… C’est ici le courage le plus basique de la terre. Pas le courage de tel intellectuel face à telle question blablabla – un courage tout aussi admirable, mais pas ici. Le jeune Vic et son chien Prof se confrontent à l’idée de survie, qui a paradoxalement quelque chose de moins mystérieux que celle de vie. Vie / survie: passer de cette distinction à celle de homme / surhomme est tentant. Mais nul surhomme ici. Ni de sous-homme, d’ailleurs. Il y a un homme montré dans toute la bassesse de se condition. Et il y a le chien qui le fait remarquer au personnage. Et surtout à nous autres spectateurs.

Apocalpyse 2024, ce western philosophique à hauteur d’homme et de chien – son format est le Techniscope – est donc pessimiste dans son constat sur la nature humaine; ce n’est pas pour rien qu’il nous fait hurler de rire. Mais il est optimiste dans la mesure où c’est un film d’initiation. L’homme peut avancer vers le bien, vers la connaissance et vers le bonheur en suivant les traces d’un mentor, en l’occurence le chien. Sans révéler ici l’issue de l’intrigue, tout tourne évidemment autour de cette relation entre l’homme et son compagnon. Quand ils doivent se séparer à la moitié du film environ, leurs adieux ressemblent à une rupture amoureuse, la chose la plus banale du monde et pourtant la plus tragique. Sauf qu’entre eux, c’est bien plus que de l’amour. C’est de l’amitié. C’est de l’admiration. C’est de la transmission.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: © LQ:JAF

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