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«Silverton Siege»: le cinéma d’Afrique du Sud s’affirme, mais n’abolit rien6 minutes de lecture

par Jordi Gabioud
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silverton siege netflix

Les mercredis du cinéma – Jordi Gabioud

Avec l’avènement du numérique, l’industrie cinématographique d’Afrique du Sud se révèle de plus en plus comme un acteur à suivre dans le champ de la production mondiale. Silverton Siege le prouve à son tour. N’ayant pas à rougir face aux grandes productions américaines, il fait preuve de grandes qualités visuelles et narratives. Pourtant, il est triste de voir qu’un film questionnant l’identité de son pays soit finalement si… américain. Retour sur les paradoxes de l’industrie cinématographique de ce pays.

Nous sommes le 25 janvier 1980, à Pretoria, bastion du nationalisme afrikaner. Dans cette ville chargée de symbolisme, trois combattants anti-apartheid se réfugient dans une banque du quartier de Silverton suite à une opération qui a mal tourné. Inspirée d’une histoire vraie, l’intrigue nous relate ce siège désespéré des trois combattants, multipliant les revendications et cherchant à donner un sens à ce qu’ils savent être leurs dernières heures de liberté.

Silverton Siege s’inscrit dans la lignée des films populaires mettant en scène des braquages qui ne se déroulent pas comme prévu pour y traiter le thème de l’apartheid d’Afrique du Sud. Un choix intelligent, puisque le genre comme le thème ont en commun l’importance de la frontière physique à ne pas franchir. Ici, nos protagonistes noirs investissent un lieu interdit et s’engagent dans un duel psychologique avec les forces de l’ordre blanches. L’occasion de dessiner un panorama social à travers les otages pour développer la question.

L’apartheid à travers la prise d’otages

Nous retrouvons un Américain qui ne sera jamais considéré comme le symbole de réussite qu’il pense incarner du fait de sa couleur de peau. Autre figure importante, une femme noire travestie en bourgeoise blanche pour tenter de s’extraire de sa condition. Enfin, un soldat noir arriviste qui assume pleinement de troquer sa conscience morale pour mieux s’intégrer dans les forces de l’ordre gardiennes de l’apartheid. Du côté des Blancs les personnages sont à l’inverse plus anecdotiques, avec un banquier ouvertement raciste ou une fonctionnaire admirative de la cause embrassée par ses gardiens. Mais nous ne pourrons condamner le film au motif qu’il ne se place pas en porte-voix de personnages déjà si largement entendus dans le cinéma américain.

Bien sûr, nous avons nos trois protagonistes, le cerbère de cette banque. Ceux-ci se montrent plus ou moins menaçants, plus ou moins fragiles, plus au moins empreints de doutes quant à leurs actes. Il est intéressant de relever que la grande cause ne rayonne qu’une fois la petite étouffée: ce n’est que lorsque nos individus réalisent qu’ils ne pourront s’en sortir qu’ils songent à exiger la libération de Nelson Mandela. Ainsi, malgré quelques facilités communes au genre, le film cherche à nuancer son trio de façon bienvenue. Il est pourtant dommage que le film s’embourbe parfois en leur administrant une aura héroïque aux yeux de leurs otages. On finit presque par voir ces derniers faire front avec leurs geôliers.

L’hégémonie américaine

Le cinéma d’Afrique du Sud explore depuis longtemps maintenant la question de l’apartheid en présentant le point de vue de ceux qui en ont souffert. On devrait se réjouir de cette diversité! Malheureusement, ce point de vue est fortement biaisé par la large influence américaine sur le septième art. Difficile de ne pas imiter le premier de classe. Pourtant, certains ont su s’en inspirer sans lui ressembler; repensons au cinéma japonais avant et même après l’occupation, où l’influence américaine berçait des réalisateurs comme Kurosawa dans ses grandes productions jusqu’à un Ozu dans ses drames familiaux plus intimistes.

Silverton Siege symbolise bien cette difficulté qu’a une grande partie du cinéma aujourd’hui encore – et peut-être depuis bientôt un siècle – à trouver son identité hors du modèle américain. Les références de ce film vont à Heat ou à Inside Man, de grandes productions hollywoodiennes. Sa narration ressemble à tous les films de braquages déjà vus. On utilise les mêmes ficelles usées du cinéma dominant pour appuyer le drame. Son distributeur même n’est autre que Netflix. Seule se distingue parfois la bande originale, l’élément esthétique le plus permissif dans la conception d’un film. Silverton Siege avait de quoi se distinguer; au bout du compte, il ressemble à n’importe quel film connu du public occidental.

La faute du public

Mais finalement, est-ce vraiment sa faute? Pourquoi voit-on surgir cette hégémonie américaine de façon particulièrement dérangeante lorsqu’il ne s’agit pas de films américains? Et surtout, est-ce qu’un long-métrage moins marqué par les habitudes narratives et esthétiques d’Hollywood permettrait de gagner tout de même un large public? Rien n’est moins sûr. En effet, l’hégémonie du cinéma américain se fait moins ressentir dans la création que dans l’attente du public. Aujourd’hui encore, le public exige un divertissement à sa portée, dicte ses goûts et décide de ce qui est dans les normes ou non.

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L’art cinématographique est condamné à se développer sur le modèle du géant américain en attendant qu’un jour peut-être, dans un monde où les écrans sont omniprésents, une éducation à l’image nous apprenne à nous, public, toutes les variétés dont le septième art dispose pour raconter une histoire. Alors peut-être le public exigera-t-il quelque chose de différent. En attendant, Silverton Siege est sans doute le film que nous méritons.

Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com

silverton siege affiche
Silverton Siege affiche

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