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«Les Nouvelles Eves»: un docu sans casser des (m)œufs5 minutes de lecture

par Fanny Agostino
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les nouvelles eves

Les mercredis du cinéma – Fanny Agostino

A quoi ressemble le quotidien des femmes en Suisse une année après la grève féministe de juin 2019? Quels défis doivent-elles surmonter cinquante ans après l’avènement du droit de vote? Telle est la colle posée par Judith Lichtnecker et Liliane Ott à un groupe de six réalisatrices suisses. Le résultat est brut pour une ambition présomptueuse. Les Nouvelles Eves: un documentaire qui, sous de bons sentiments, noie son propos dans un fatras de généralités.

Elles sont au nombre de six et résident en Suisse: Cosima, Sophie, Sela, Delphine, Naima et Valeria. Elles ne se connaissent pas et vivent dans des régions linguistiques différentes. L’une est une enfant, l’autre une jeune retraitée. L’une est professeure à l’Université de Lausanne, l’autre cherche désespérément à s’intégrer définitivement en Helvétie en améliorant ses conditions de vie. Leur point commun? Elles sont toutes des femmes… Est-ce vraiment suffisant?

On se demande bien quelle mouche a piqué les réalisatrices avant de s’attaquer à ce surprenant projet. L’ambition? Une tendance à la mégalomanie? Malheureusement, notre mauvais pressentiment ne fera que se confirmer.

Six vies, six réalisatrices

Il faudrait d’abord supprimer une croyance, un mythe qui semble persister dans l’imaginaire collectif. Un documentaire ne réside pas dans la proposition alambiquée de «filmer une tranche de vie». Il ne suffit pas de planter une caméra face à un individu, de lui donner quelques instructions pour qu’il se place correctement avant de le lancer dans un monologue pour «faire documentaire». C’est pourtant face à ce constat que Les Nouvelles Eves nous laissent. Le long-métrage est dépourvu de tout point de vue, de la moindre empreinte artistique. Cette absence rend le propos banal jusqu’à le rendre aussi passionnant qu’une soirée où la dépression nous envahirait. Lorsque, au crépuscule de l’ennui, l’on pactise avec le diable sans se l’avouer. Lorsque passivement, on se laisse bercer par une saison de «Bye bye la Suisse» sur la RTS dans un moment de paresse.

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Cette absence d’un véritable angle nous semble imputable à un autre choix douteux, celui de laisser le soin à six personnes de co-réaliser le documentaire. En effet, le parcours de chaque femme est confié à une réalisatrice différente, et cela se ressent. La proposition manque de cohérence, aucun fil rouge ne permet au documentaire de se détacher et de former un ensemble homogène.

Un documentaire à thèses qui tombe à l’eau

Lors de mes études en histoire du cinéma, l’une des premières expériences cinématographiques qu’il m’ait été donné d’étudier venait du cinéma russe. Il s’agissait d’une constatation menée par un réalisateur soviétique. L’effet Koulechov – ou l’effet K pour les intimes – relevait la capacité du spectateur à créer du sens entre deux plans grâce au montage. Pour résumer, un premier plan montre un comédien fixant l’objectif avec une expression neutre. Dans un second temps, on ajoute à la suite de ce plan fixe l’un des trois plans suivants: l’un représente une femme allongée sur un divan, l’autre une assiette de soupe et le dernier un enfant dans un cercueil. Les spectateurs qui ont visionné l’une des trois séquences évoquées interprétaient toute l’émotion du comédien différemment: le désir, la faim ou la tristesse. Lev Koulechov pouvait alors s’émerveiller devant le pouvoir du médium cinématographique, qui résidait donc dans la force de persuasion du montage selon lui.

Bizarrement, l’effet K m’est revenu en mémoire au détour d’une dernière séquence du documentaire. Alors que chaque trame prend progressivement fin, le film présente des rushs filmés le 14 juin 2019, lors de la grève féministe. Ce plan vient légitimer le discours promotionnel du documentaire, autour des «héroïnes du quotidien» dans une perspective féministe où elles sont considérées comme «portées par la grève féministe». Pourtant, les protagonistes ne sont jamais interrogées à ce sujet. Seules les suggestions appuyées de la caméra – par exemple lorsque Cosima et ses camarades jouent aux indiens et aux cow-boys – renvoient aux conditions de chacune de ces femmes.

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Au terme d’un long périple monotone et sans saveur, Les Nouvelles Eves n’apportent justement rien de nouveau. Pourtant, les vies de ces différentes femmes sont loin d’être inintéressantes. Elles rendent visibles de réels enjeux sociétaux comme la retraite, l’intégration mais aussi la solitude. Fallait-il absolument créer des liens qui apparaissent comme superficiels avec la condition des femmes? Un constat semble s’imposer: le documentaire n’est pas une forme au service de l’air du temps, il en est le baromètre.

Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com

Crédits photos: © Emilia Productions

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