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«Shadow Game»: la réalité des mineurs clandestins5 minutes de lecture

par Fanny Agostino
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Les plateformes ciné du samedi – Fanny Agostino

Après leur moyen-métrage De deal (2018) consacré à l’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie pour contrôler les flux migratoires entre les îles grecques et l’Anatolie, le tandem hollandais formé par Eefje Blankevoort et Els van Driel continue son examen de la question migratoire à travers sa dimension humaine et sociale. Enquêtrices de terrain, elles nous invitent à comprendre et à suivre le pari dangereux que se sont lancé de jeunes adolescents. Une aventure sans retour que ces derniers nomment «the walking game»: un défi consistant à franchir les frontières ultra sécurisées de la route des Balkans pour rejoindre l’Europe. A n’importe quel prix. Un regard inédit sur les migrants mineurs non accompagnés et leur parcours.

En Grèce, un jeune garçon se baigne dans la Méditerranée. Un semblant de quotidien partagé avec les vacanciers piétinant les plages athéniennes. Sk a seize ans. Ce n’est pas vraiment un étranger comme les autres. L’adolescent a quitté l’Afghanistan depuis maintenant sept mois. A pied, il a parcouru les quelque cinq-mille kilomètres qui le séparaient de l’Europe. Avec son smartphone, il garde le contact avec ses proches. C’est d’ailleurs lors d’une communication téléphonique que la nouvelle tombe: le grand jour, ce sera jeudi. La veille, il a échoué. Il a perdu au «jeu». Sk ne commente pas les parties de Mario Kart de sa dernière soirée entre amis. La seule course qui l’intéresse, c’est celle qui consiste à se faufiler derrière les grillages à la barbe des gardes-frontières, à survivre plusieurs jours sans boire et sans se nourrir dans la forêt… Pour gagner le droit de risquer à nouveau sa vie face à un nouveau mur.

Voix et regard de l’invisible

Durrab, Sk, Faiz, Jano et son frère Shiro, Mohammed et les autres. Tous ont une histoire particulière, viennent de différents pays. Les décors, les lieux d’hébergement comme les compagnons d’infortune changent. Mais l’implacable schéma ne se brise jamais. D’un point A, il faut se rendre à un point B qui deviendra un nouveau départ vers une nouvelle destination, vers l’inconnu. Après une longue période d’investigation – Eefje Blankevoort est d’abord journaliste – les réalisatrices ont approché ces gamins livrés à eux-mêmes. Elles ont tissé des liens avec ces réfugiés qui leur ont permis de gagner leur confiance. Celle-ci ne se donne pas aisément. Invisibles parmi les invisibles, les enfants ne bénéficient d’aucun traitement de faveur. Dans les camps, ils sont mélangés aux autres adultes, confrontés à la violence et à des conditions de vie indignes. Sans repères ou figure titulaire, ils ont pourtant accepté d’être sous l’objectif d’Els van Driel et de sa complice.

Aussi longtemps que possible, les cinéastes accompagnent ces garçons jusqu’aux limites imposées par la nécessité de ne pas être repéré et le danger de mort. Le documentaire est aussi orienté vers le récit. Les tentatives avortées et les réussites du «walking game» sont racontées aux spectateurs par les protagonistes. Tous les enfants témoignent, sur des plans fixes, de leur vécu. Meurtris par une réalité dont ils sont les seuls dépositaires, ces séquences poignantes permettent de dire ce qui est éclipsé par l’impossibilité de montrer. Elles mettent au grand jour une réalité peu abordée par les débats sur la politique migratoire européenne.   

La migration à l’ère de la 4G

Le documentaire nous donne accès à des détails surprenants sur les conditions de voyage de ces réfugiés. Les tentatives de passage d’une frontière à une autre sont méthodiquement préparées. L’un des objets indispensables du voyage est le smartphone. Aux oubliettes la vieille boussole! Les itinéraires sont minutieusement étudiés sur Google Maps. Evidemment, l’usage d’appareils connectés amplifie les risques d’être tracé et de revenir à son point de départ. L’utilisation d’internet est privilégiée à la bonne vieille ligne téléphonique. Les passeurs, la famille comme les amis sont contactés par les applications de messagerie comme WhatsApp ou Messenger. Mais le long-métrage exploite aussi l’aisance technologique de ses sujets en intégrant des vidéos et des images prises pendant les instants fatidiques. Comme un journal de voyage, ces courtes séquences vidéo prises à la va-vite viennent documenter les instants d’angoisse et de peur près des frontières.

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En contrepoint, elles ramènent également le spectateur incrédule à une réalité si différente et pourtant si proche de notre propre quotidien: sur TikTok ou Snapchat, les smileys sont accolés à des moments de danse improvisés dans un camion ou encore à une vidéo postée par un utilisateur se filmant sous une rame d’un train en marche à moins de deux mètres du sol.

Devant la caméra, Sk évoque une anecdote de sa vie d’avant. Sa passion pour Doraemon, un manga japonais qu’il regardait chez son oncle. Le petit chat bleu de la série est en possession d’une porte qui l’emmène n’importe où, il suffit de penser à la destination pour s’y retrouver. Avec un sourire malicieux, Sk dit qu’il en aurait bien besoin pour se rendre en Europe. Grâce à Shadow Game, son témoignage nous dévoile une réalité qui nous était pourtant inconnue: la sienne.

Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com

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