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Sur les traces de Robert Johnson, guitariste maudit8 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Le Netflix & chill du samedi – Ivan Garcia

«Quelle part tient du mythe? Quelle part tient du vrai?»  

Netflix nous réserve parfois de belles surprises. Au hasard d’une balade sur la plateforme, votre rédacteur est tombé sur un documentaire musical intitulé ReMastered: Devil at the Crossroads. Ce court-métrage revient sur la trajectoire de Robert Leroy Johnson, musicien incroyable et l’une des figures majeures du Delta blues, l’une des premières formes de la musique blues qui s’est développée dans l’Etat du Mississippi. Jusqu’à atteindre le monde entier.

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La chanson Sweet home Chicago vous dit très probablement quelque chose. Un classique entendu à moult reprises par tout un chacun. Et pourtant, pourriez-vous m’en citer l’auteur? Non? Alors c’est l’occasion d’apprendre à connaître Robert Leroy Johnson, auteur-compositeur majeur dans l’histoire du blues!

© Netflix

A la croisée des points de vue

Né dans les plantations de coton du sud des Etats-Unis, là où de nombreux états défendaient ardemment l’esclavage et la ségrégation raciale, le blues est lié à l’histoire du peuple afro-américain, à ses souffrances et ses déboires. Au sein de cette histoire, Robert Johnson occupe une place de choix; lui qui a inspiré les plus grands musiciens du XXe siècle: Muddy Waters, Keith Richards, ainsi que B. B. King, pour n’en citer que quelques-uns.

Entraîné par l’historien Bruce Conforth, les deux petits-fils de Robert Johnson, ainsi que d’autres artistes et critiques, le spectateur part sur les traces de ce musicien maudit qui, de son vivant, n’a enregistré que vingt-neuf chansons et a connu une fin tragique à l’âge de vingt-sept ans en buvant une bouteille de whisky empoisonné. Robert Johnson n’a pas eu une existence facile. Né en 1911 dans la ville d’Hazlehurst, dans l’Etat du Mississippi, il est l’enfant du second mari de sa mère; le premier ayant dû fuir, car il allait être lynché.

Vagabondant au gré des déplacements de sa mère, battu par son beau-père, le jeune Johnson rêve de devenir musicien et refuse d’aller travailler dans les champs pour ne pas s’abîmer les mains. Il commence donc une carrière de bluesman itinérant, voguant de plantation en plantation et de ville en ville, pour jouer dans les joint bar où se réunissait la communauté afro-américaine. Marié à une jeune fille, il lui promet d’abandonner le blues, considéré comme une musique démoniaque, et devient un respectable ouvrier agricole. Peu avant l’accouchement de sa femme, il repart sur les routes pour reprendre la musique et revenir à temps pour assister à la naissance de son chérubin.

Mais, à son retour, sa femme est morte en couches; l’enfant également. Sa belle-famille, très croyante, tient ce musicien maléfique pour responsable. Johnson ne s’en remet jamais véritablement et décide de se consacrer pleinement à la musique, non seulement pour en vivre mais surtout pour exorciser ses démons. Et c’est là le début de la légende de Johnson que le documentaire explore.

«La légende raconte qu’il est allé à un carrefour. Il y a rencontré le diable. Il a vendu son âme. Alors, il est devenu le plus grand guitariste du monde.»

A l’inverse de beaucoup de courts-métrages, Devil at the Crossroads ne favorise pas un seul point de vue dominant tous les autres, mais une multitude qui échange et enrichit l’exploration. Le réalisateur, Brian Oakes, a préféré multiplier les intervenants et les versions plutôt que d’imposer une vision unique sur cet artiste complexe qu’était Johnson. Un choix assez original, surtout pour un genre (le documentaire) qui se veut le plus objectif possible. Dans le cas de Johnson, le dispositif choisit par le réalisateur paie, car plus qu’un homme, le musicien est devenu une légende sur laquelle courent beaucoup de rumeurs et de bruits.

En quarante-huit minutes, à un rythme rapide et sur fond de musiques de Johnson, nous sommes entraînés sur les routes du Mississipi à l’aide d’images d’archives, de témoignages et de superbes dessins pour traquer la vérité sur Robert Johnson, notamment sur la légende selon laquelle il aurait rencontré le diable.

Johnson, musicien faustien

Si Robert Johnson a beaucoup fait parler de lui, c’est qu’une véritable mythologie s’est créée autour de sa personne; mythologie qu’il a d’ailleurs lui-même beaucoup entretenue. Nous l’avons dit précédemment, le blues a toujours eu mauvaise réputation. Les citoyens chrétiens considéraient que c’était la musique du diable (the devil’s music). D’ailleurs, le terme «blues» vient de l’expression «to get the blue devils» (avoir le cafard, être mélancolique).

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Un soir, alors qu’il est un musicien débutant qui casse les oreilles au public, les musiciens Son House et Willie Brown, ses mentors, disent à Johnson d’arrêter, car sa musique ne plaît à personne. Notre héros leur répond alors: «Attendez, vous allez voir.» A compter de cette date, Johnson disparaît du Mississipi pendant environ un an. Lorsqu’il revient, il a atteint un niveau stratosphérique, bien au-dessus de celui de ses mentors. Mais que s’est-il passé?

Le mythe veut qu’un soir, sur les routes de la campagne américaine, Johnson soit parvenu avec sa guitare à un croisement (crossroads) où il a rencontré le Diable. Celui-ci lui aurait accordé sa guitare et Johnson lui aurait vendu son âme. Il s’agit d’une version christianisée d’une croyance de la spiritualité hoodoo, proche du vaudou, qui mentionne que l’on peut pactiser avec un esprit aux croisements pour obtenir des pouvoirs.

Johnson fait lui-même référence à cet épisode dans plusieurs de ses chansons qui, selon les spécialistes, contiennent un grand nombre de références à la spiritualité hoodoo. La chanson Crossroads commence d’ailleurs comme suit: «I went to the crossroad, / fell down on my knees / Asked the Lord above, / “Have mercy, now, save poor Bob if you please”», retraçant ainsi la rencontre du sujet avec le démon. Et, dans Me and the Devil Blues, le personnage fait la rencontre du diable qui vient toquer à sa porte.

© Netflix

Le blues du cimetière

«Mon grand-père disait: “Ce gars du Delta, Robert Johnson, traînait toujours au cimetière.”»

Au cours de sa carrière, probablement en raison du décès de sa première femme, Johnson a été un homme torturé qui s’est forgé une image de poète-musicien maudit. Les différents intervenants du documentaire tentent d’expliquer, selon leur interprétation, ce mythe du pacte avec le diable qui fait de Johnson une sorte d’Orphée-Faust moderne.

Pour certains, il s’agit d’une métaphore car, durant cette année d’absence, Johnson serait en réalité parti en quête d’un mentor, le meilleur guitariste du Sud du Mississipi, Ike Zimmerman. Ce dernier l’ayant pris pour disciple, ils jouaient ensemble sur les tombes d’un cimetière. Fidèles à une croyance hoodoo qui dit que pour apprendre à jouer le blues, il faut aller dans un cimetière et jouer à minuit; à ce moment-là, les esprits des défunts se manifestent et apprennent au musicien les rudiments de la musique blues.

Devil at the crossroads s’avère une petite pépite sur un grand musicien. Le documentaire, accessible aux néophytes comme aux mélomanes, est excitant et palpitant. En se basant sur cette histoire de pacte avec le diable, le réalisateur interroge nos représentations et tente, grâce aux différents témoignages, de restaurer la réputation d’un homme qui a été injustement oublié par le grand public.

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédits photos: © Netflix

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