Le Regard Libre N° 27 – Florent Aymon (tribune)
Le réchauffement climatique, cause de la hausse du niveau des océans, de la migration de masse, de la disparition de certaines espèces polaires, de tsunamis en Asie, de tremblements de terre en Amérique du Sud, etc. Il a bon dos, ce réchauffement climatique, auquel on attribue tous les maux. D’autres facteurs empiriques doivent néanmoins entrer dans les champs d’explication. Nous allons ici nous concentrer sur deux exemples concrets: les ouragans et l’avenir des migrations dues au climat.
De nombreux spécialistes estiment que les pertes économiques liées aux ouragans ont augmenté parce que le réchauffement climatique rend ce genre d’événement plus fréquent. Par ailleurs, de nombreux dirigeants politiques pensent que, dans les années à venir, en raison du réchauffement climatique, les migrations internationales vont augmenter. Selon Stuart Lane, professeur de géographie à l’Université de Lausanne, un moyen de constater les pertes économiques liées aux ouragans sont les coûts pour les assurances après le passage d’un de ceux-ci. Après investigations, il découvre qu’entre 1890 et 2010, ces coûts ont en effet tendance à s’accroître. Cependant, il estime nécessaire d’introduire d’autres facteurs que l’unique changement climatique pour expliquer l’avenir des migrations et des ouragans au XXIe siècle.
Le nombre d’ouragans croît-il vraiment?
Dans l’histoire du changement climatique, il existe une longue tradition d’attribution de phénomènes nouveaux et inconnus à des facteurs casuels spécifiques comme les volcans ou, en particulier récemment, à l’être humain. Or, selon le spécialiste américain Mike Hulme, il est nécessaire d’utiliser différentes approches scientifiques et de les recouper pour prouver un fait comme l’augmentation du nombre d’ouragans ou le réchauffement de la surface des océans. Il est donc incorrect d’utiliser uniquement une approche physique ou une loi des séries pour justifier un changement climatique, aussi important soit-il.
C’est ce que démontre également Stuart Lane. Selon lui, si l’on ne tient pas compte de l’inflation et de l’augmentation démographique, le nombre d’ouragans semble augmenter. En revanche, avec ces facteurs normalisants, on constate, tout comme le dit Hulme, que le nombre d’ouragans n’augmente pas mais qu’au contraire, il suit une tendance décroissante. Du reste, selon N. P. Gillet et ses collaborateurs, le réchauffement de la surface des océans, qui serait le facteur principal de la création des ouragans, ne peut pas être attribué uniquement aux gaz à effet de serre produits par l’homme mais à un cycle naturel multidécadal.
De plus, selon Hulme, si l’on recense plus d’ouragans aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, c’est aussi simplement parce que les outils de mesure sont devenus plus performants. Il remarque toutefois que la violence de ces derniers aurait tendance à augmenter. Cette nuance concorde avec les propos de Stuart Lane, qui donne deux raisons aux pertes matérielles causées par les ouragans, réchauffement climatique mis à part. La première est que de plus en plus de personnes ont de plus en plus à perdre. La deuxième, qu’il existe un besoin croissant de nouveaux logements avec l’expansion démographique et que ces derniers doivent être construits au plus vite. Ce phénomène oblige à développer de nouveaux terrains d’habitat qui se trouvent bien souvent dans des lieux à risque, comme la côte ou les bassins fluviaux.
Une nouvelle sorte de migration
Cette précipitation vers des zones à risques entraîne une croissance des migrations suite à un événement catastrophique. C’est pourquoi Black et ses collaborateurs affirment que l’environnement est un facteur de migration car il influence les services nécessaires à la vie. Ces services, ce sont l’approvisionnement en nourriture et en eau, la protection des catastrophes naturelles et les services culturels. Par ailleurs, cinq causes principales de migrations pour le siècle à venir sont citées.
- Une augmentation du niveau de la mer qui renforcerait le risque d’inondation, ce qui amènerait à la salinisation destructrice des sols inondés et à une impossibilité de cultiver ces terres.
- Une recrudescence du nombre de cyclones tropicaux qui détruirait les cultures et provoquerait aussi des inondations.
- Un changement dans la répartition des précipitations qui créerait un manque d’eau pour les cultures et pour la consommation, ou a contrario un surplus, qui produirait des inondations.
- Une augmentation du nombre de pics de températures qui mènerait à la destruction des récoltes et à une vie difficile dans les grandes villes.
- Un changement chimique atmosphérique qui occasionnerait des pluies chargées en ozone mauvaises pour bon nombre de cultures.
En outre, comme expliqué plus haut, le changement climatique aurait tendance à augmenter le nombre d’événements climatiques exceptionnels, tels que les ouragans, les éruptions volcaniques ou les tremblements de terre, et ce genre d’événements pousse souvent les gens à quitter un pays. Ce fut le cas sur l’île de Monserrat en 1995 selon Kokelaar. En réaction à ces événements, Black et ses collègues expliquent que les gens touchés ont tendance, bien que sur de petites distances, à migrer.
Toutefois, il est judicieux de présenter tous les facteurs jouant sur les migrations pour comprendre le rôle de l’environnement. Il s’agit de l’économie, de la politique, de la démographie, du social et de l’environnement. Selon Black, «le facteur économique ou politique a beaucoup plus d’influence que le climat». Du reste, il cite l’exemple du delta du Mékong en Chine, zone à risque pour les inondations, mais où beaucoup de Chinois vivent car les prix y sont très bas. Raleigh, lui, rend compte de l’importance qu’a un facteur social et politique, comme la guerre, sur les déplacements de populations.
De manière plus générale, il est très difficile de trouver des bases scientifiques montrant que les migrations sont directement liées aux changements climatiques. La plupart des études récentes les introduisent comme facteurs indirects. Black et ses collaborateurs présentent notamment le cas de pêcheurs qui, du fait du changement climatique, n’ont plus de poissons et sont donc contraints de migrer. Il s’agit là d’un facteur économique, directement influencé par le facteur environnemental que représente la disparition des poissons. De plus, ils soulignent qu’à l’avenir, l’effet du climat sur les migrations ne dépendra pas seulement des changements climatiques mais de l’évolution des cinq autres facteurs.
Le changement climatique est une réalité très actuelle et donc prisée par les scientifiques et la presse à scandale. Cependant, sa mise en relation avec les migrations et les ouragans est très récente. Nous voyons avec ces deux exemples qu’en entrant un petit peu dans les détails, la prudence s’impose face à cette tentation contemporaine de dénoncer à tout vent l’impact de l’homme sur le climat, alors que les recherches n’en sont encore qu’à leurs balbutiements et que les modèles actuels seront probablement dépassés d’ici peu. Qui sait de quoi demain sera fait?
Florent Aymon est étudiant en géographie à l’Université de Lausanne.
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