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«Cléopâtre et Frankenstein», quand la comédie masque le drame5 minutes de lecture

par Quentin Perissinotto
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Premier roman de l’auteure anglaise Coco Mellors, Cléopâtre et Frankenstein a paru cet automne en français, après avoir fait un carton dans le monde anglophone. Un livre au titre déroutant, pour une histoire faite de paradoxes.

Il est 22h30 le soir de la Saint-Sylvestre à New York lorsque Cleo se retrouve nez à nez avec Frank dans l’ascenseur. La discussion s’engage, le ton est badin, les plaisanteries fusent et l’attirance se devine réciproque. Si ce roman s’ouvre sur une scène digne d’une comédie sentimentale de Noël, l’histoire entre Cleo et Frank n’a elle rien de romantique. Cleo est une jeune étudiante fauchée dont le visa expire bientôt; Frank a vingt ans de plus, un travail de publicitaire qui lui rapporte gros et la nationalité américaine. Ils sont aussi opposés que le suggère le titre énigmatique du livre, mais faits de la même étoffe: de fêlures mal rapiécées. 

«Dès le jour de son mariage, lorsque Frank lui avait offert cette orchidée bleue, teinte à l’encre empoisonnée, elle aurait dû deviner qu’il ne la comprenait pas et ne la comprendrait jamais.»

Le malaise de n’être que soi

Depuis cette rencontre impromptue, Cleo et Frank ne se quittent plus et se marient même dans la foulée. Toutefois, le conte de fées s’étiole vite et le lecteur comprend que Coco Mellors ne monte pas une comédie, mais un drame. Celui de deux êtres instables qui cherchent à se compléter. Celui d’une époque où les excès ne sont plus un terrain de jeu, mais une prison dorée. D’une plume leste et désinvolte, la romancière dévoile une galerie de personnages extravagants, railleurs et profondément imparfaits, qui poursuivent tous l’ambition la plus délicate de l’existence: se comprendre et se trouver soi-même.

Au travers de l’histoire d’amour de Cleo et Frank, c’est des relations sociales que nous parle Coco Mellors. L’amitié, le coup de foudre, la rivalité, la jalousie, la passion, les liens tantôt bienveillants, tantôt toxiques, l’auteure explore notre société de la façon la plus simple et la plus lucide qui soit: en mettant en scène les rapports humains. 

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Cléopâtre et Frankenstein est le portrait d’une génération complètement déboussolée, qui voit le bonheur scintiller au loin, sans parvenir à le saisir, en se rabattant sur son générique: l’apaisement. Une génération asphyxiée par le bruit confus du monde. Tous les personnages se sentent dos à un mur faits de leurs rancœurs et désillusions. Ils tentent, chacun à leur façon, de recoller les morceaux brisés dans leur vie. Mais tous glissent doucement vers ce mal-être qui s’empare des âmes lasses. Et ce qui fonctionne si bien avec ce roman, c’est que l’on se reconnaît dans ces gestes retenus, cette monotonie subie, ces ratés, ces regards dérobés. Car en finalité, ce n’est ni de Cleo ni de Frank dont Coco Mellors parle, mais de nous.

«Alors, c’était quoi, le meilleur de l’année passée, pour vous? reprit-il.
— Une seule chose?
— Comme vous voudrez.
— Bon sang, il faut que j’y réfléchisse. Eh bien, je suis passée à un antidépresseur qui me permet à nouveau d’atteindre l’orgasme. Ça m’a paru une victoire importante.»

Des dialogues loufoques entre névrosés patentés 

L’auteure imprime à son histoire un ton enjoué, frivole, pour parler d’individus fracturés, de névroses et de désespoir ambiant. Le style est léger, mais jamais niais. C’est là tout le paradoxe réussi! La grande force de la romancière est d’avoir instauré une narration qui repose entièrement sur les dialogues, sans que l’intrigue ne tourne en rond ni ne sonne creux. Au contraire, les discussions entre les personnages sont extrêmement drôles, parfois loufoques (comme lorsque l’un des invités offre de la cocaïne comme cadeau de mariage) et se finissent souvent par une punchline, ce qui donne au livre un petit côté plaisant de série télévisée. 

Le sentiment qui s’impose à nous une fois le livre terminé et refermé, c’est que l’on se demande pourquoi le jauger, l’analyser et inévitablement le paraphraser, et pourquoi ne pas seulement se contenter de cette mélodie qui résonne et des souvenirs qu’elle laisse. Car Cléopâtre et Frankenstein est tout simplement un roman qui sonne juste.

Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com

Crédit photo: © Quentin Perissinotto pour Le Regard Libre

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Coco Mellors 
Cléopâtre et Frankenstein 
Traduction de Marie de Prémonville 
Editions Anne Carrière 
2022 
412 pages 

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