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Françoise Sagan avait le diable au cœur4 minutes de lecture

par Lauriane Pipoz
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Les bouquins du mardi – Lauriane Pipoz

En 1954, Françoise Sagan a dix-huit ans. Cet été-là, en six semaines, elle écrit son premier roman. Chef-d’œuvre aussi tranchant que minutieusement rédigé, il emmène le lecteur au sein d’une famille sur le point d’être recomposée. S’il en dit beaucoup sur les mœurs des années cinquante, il n’a pas pris une ride. Tant et si bien que l’on se surprend à y chercher des éléments d’aujourd’hui. Récit de mon voyage sur la Côte d’Azur, septante ans plus tôt, dans l’esprit vil d’une jeune fille en avance sur son temps.

Par ses fréquentes allusions aux bonnes et aux mauvaises mœurs (et surtout aux secondes!), Bonjour tristesse rappelle Les Liaisons dangereuses. Et là, je n’invente rien; bien d’autres ont fait ce parallèle avant moi. Mais l’ouvrage a aussi été associé au Diable au corps, livre qui a suscité un énorme scandale à sa sortie en 1923. A cause de sa prétendue immoralité (il raconte un adultère), mais aussi du jeune âge de son auteur, Raymond Radiguet, qui rendait le traitement d’un tel sujet encore plus éhonté aux yeux des lecteurs. D’ailleurs, le texte de Sagan a presque été assimilé à ce récit puisqu’il a initialement été publié sous le nom Le Diable au cœur.

Dans quel but ? Empirer le parfum de scandale, très certainement. En 1954, l’auteure, à peine son bac en poche, se lance dans des démarches auprès de trois éditeurs. De ces derniers, le moins connu, Raymond Julliard, est le premier à accepter ce court récit provocant titré d’après le poème de Paul Eluard. L’adolescente, qui ne connaît rien du monde littéraire, demande un tarif si bas que l’éditeur lui en offre le double. C’est le jackpot: l’adolescente remporte le très prestigieux prix des Critiques, et les ventes explosent. Tout comme les grands garants de la morale de l’époque – le Vatican interdira ce «poison qui doit être tenu à l’écart des lèvres de la jeunesse» (L’Express). Un comble pour un livre écrit par une jeune fille d’une bonne famille bourgeoise!

Un scandale? Quel scandale?

Mais venons-en au fait: de quel scandale parle-t-on? Le personnage principal de Bonjour tristesse, Cécile, a dix-sept ans. C’est une jeune femme légère qui n’aspire qu’à mener une vie amusante et dénuée de responsabilité aux côtés de son père. Car c’est bien ce que lui a appris ce dernier à sa sortie du pensionnat: depuis la mort de sa femme, fuyant tout ce qui a trait au sérieux, il écume les boîtes de nuit et enchaîne les liaisons éphémères comme un jeune homme. Fusionnelle avec son père, Cécile se complait dans cette situation. Elle loupe son bac? Qu’à cela ne tienne! Elle pourra quand même profiter de ses vacances sur la Côte d’Azur avec son père et sa maîtresse du moment, une jeune femme demi-mondaine, amusante mais plutôt vide.

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C’est lors de ce séjour au soleil que notre héroïne découvrira – et appréciera – les plaisirs de la chair auprès d’un jeune homme. Mais un personnage plein de principes vient troubler sa quiétude: Anne, une femme classe et intelligente, mais extrêmement dure et ayant une immense emprise sur Cécile. Et elle a décidé d’épouser le père de notre héroïne. Cette dernière décide donc de lui nuire et met au point un plan machiavélique pour pousser son père à la tromper, ce qui l’humiliera et la détruira.

Pour la lectrice du XXIe siècle que je suis, à travers la focalisation interne du protagoniste principal, cette quarantenaire tyrannique qui l’enferme à clef dans sa chambre a tout de la marâtre aigrie. J’irais même jusqu’à dire que notre héroïne a développé un syndrome de Stockholm: pendant de brefs moments, elle semble s’attendrir lorsque Madame de Tourvel, non, Anne, lui témoigne la moindre admiration.

Mais quel était le problème à l’époque? Le sexe sans sentiment, évidemment! Cécile décrit ses premières fois et y prend bien du plaisir. De surcroît, elle admet à la fin du livre qu’elle n’a jamais aimé son promis. Et comble de l’horreur, loin des contes moralisateurs de l’époque, elle ne se retrouve pas enceinte. C’est aussi à ce moment-là que l’auteure de ce papier s’est rendue compte à quel point la contraception était entrée dans les mœurs: je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ses actions sans protection étaient très, très risquées. Pas de doute, ma pensée fut anachronique. Ce qui montre bien que le récit était si contemporain que j’en avais oublié qu’il avait été écrit septante ans plus tôt.

Le récit de Françoise Sagan est d’une actualité brûlante. Comme l’a déclaré Anne Berest en 2018, à l’origine d’une biographie de l’auteure de Bonjour, tristesse, «Quand une femme prend la plume pour parler du corps de la femme, cela crée des remous». Oui, au présent. Si c’est ce que l’on aura choisi aujourd’hui de retenir du roman de cette jeune femme d’une immense originalité, ce n’est qu’un élément de sa prose maîtrisée et de sa plume acerbe qui ont su être reconnues en 1954, et qui sont toujours aussi appréciées aujourd’hui.

Ecrire à l’auteure: lauriane.pipoz@leregardlibre.com

Françoise Sagan
Bonjour tristesse
Julliard

1954
188

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