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Regard libre sur le Valais7 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Le Regard Libre N° 5 – Sébastien Oreiller et Jonas Follonier

Le Regard Libre: Cela fait maintenant cinq ans que vous n’êtes plus conseiller fédéral. Etes-vous toujours autant passionné par la politique, ou est-ce que votre regard sur celle-ci a changé?

Pascal Couchepin: Le regard s’est détendu. Il est peut-être plus critique, pour des raisons objectives sans doute, par le fait même que je ne suis plus au cœur de la politique, par exemple. En tout cas, les problèmes actuels sont plus difficiles à résoudre. Le corps électoral réagit par vagues d’émotions.

Si l’on se replonge dans le passé de notre canton, force est de constater que les mouvements radicaux et libéraux de la Suisse moderne, devenus rapidement importants dans le Bas-Valais, ont été à l’origine d’une dynamique de modernisation, d’industrialisation et de socialisation du Vieux Pays. Selon vous, quelles ont été les grandes étapes qui ont érigé le Valais moderne?

Le Valais fut conquis par les Romains vers 50 après J.-C. Puis, l’époque savoyarde influença fortement le Bas-Valais. Rappelons que le Prince-Evêque fut nommé Comte du Valais; le Bas-Valais constituait un pays sujet. Si l’on regarde le patrimoine architectural de ce dernier, il est plus modeste que celui de Loèche, de Rarogne ou encore de la Vallée de Conches, ce qui témoigne de la prospérité du Haut.

L’année 1798 marqua l’invasion française avec le combat de Finges. Le Haut-Valais l’emporta d’abord, mais au petit matin, il fut un peu relâché et se fit vaincre par les vaincus de la veille. De 1798 à 1848, la partie francophone du canton chercha à obtenir une égalité politique au niveau électoral, la création de nouveaux dizains ou encore la réduction des droits de l’Evêque. Une lutte s’enracina pour l’égalité des droits, la liberté de penser, la liberté de presse.

Après la victoire au Sonderbund, un régime libéral-radical fut à la tête du Valais pendant dix ans; il fut très novateur. Il avait par exemple l’ambition d’entamer une correction du Rhône; un début de tunnel fut créé au Grand-Saint-Bernard, tout comme une banque cantonale, qui fera malheureusement faillite. L’expansion industrielle se fit autour du développement de l’électrochimie, à Monthey, mais également à Martigny, à Sierre et à Viège avec la Lonza. La pratique agricole fut modernisée entre les deux guerres avec le conseiller d’Etat Maurice Troillet, un homme ouvert et intelligent qui fonda Provins et l’école d’agriculture.

Au début du XXe siècle, ce fut l’arrivée du tourisme de montagne avec les Mayens-de-Sion, Finhaut ou encore Zermatt. Concernant la viticulture, les bons vins se font là où on peut les vendre à une cour royale. Le Valais, lui, était un pays pauvre sans bons vins. Dès le début du XXe siècle, je trouve qu’il y a eu une prise de conscience. Les années 85-88 sont les témoins d’une explosion qualitative de la viticulture valaisanne.

Je dirai enfin que le Valais a fait des avancées et des reculades. Il n’y a plus de reculades possibles, pour le meilleur et pour le pire; depuis vingt ans, on aborde un monde nouveau en termes de répartition des forces politiques. Notre canton a perdu de son originalité.

L’économie valaisanne a mis du temps à se développer. Pourquoi à votre avis?

Cela provient surtout du grand problème de communication, et d’un manque de tradition industrielle. Le Bas-Valais, Sierre et Viège ont canalisé l’industrie. Après la guerre, encore 30 à 40% des Valaisans travaillaient dans l’agriculture. Un directeur de l’ancienne SBS m’a dit un jour: «L’industrie en Valais: jusqu’à Monthey, pas plus loin.» L’arrivée de l’autoroute et la libéralisation des télécommunications ont créé le bond en avant que nous connaissons dans la qualité de notre industrie. La Mutuelle est par exemple la seule entreprise qui ait su s’imposer au niveau suisse. Il convient enfin de remarquer la méfiance que témoignent les conservateurs envers l’industrie.

Beaucoup d’affaires personnelles ont secoué le Valais ces derniers temps. Que pensez-vous de cette médiatisation?

Une médiatisation est la conséquence de faits. Cela dit, on peut craindre que certains préjugés provoquent un traitement injuste envers les différents cantons. Je pense que le Valais, sociologiquement et politiquement, est divisé en trois parties: un Haut-Valais très démocratique, où s’impose le combat de personnes; un Bas-Valais enraciné dans la lutte entre libéraux et conservateurs depuis le XIXe siècle; un Valais central encore marqué par une politique «clanique», traditionnelle, quoique cette situation change rapidement. De ce fait, c’est cette partie du canton qui est la plus susceptible d’autoriser des écarts. En effet, cette situation est définie par la défense d’intérêts de clans, alors que l’Etat du XIXe siècle se veut indépendant des intérêts personnels. L’Etat libéral évite les conflits entre personnes, fixe des règles, respecte la séparation des pouvoirs. Cette vision du Valais en trois parties vient de l’ancien vice-président de Monthey Carlo Boissard.

Vous parliez de la lutte entre conservateurs et libéraux. A votre avis, le traditionnel clivage PLR/PDC dans la politique valaisanne va-t-il persister ou s’effacer gentiment?

On observe aujourd’hui que les termes «conservateurs» et «libéraux» acceptent un sens plus général que jadis; ils ne sont plus propres à un parti politique. Le PDC, toujours majoritaire dans notre canton, compte parmi ses membres des hommes à l’esprit libéral et des hommes à l’esprit conservateur. Autant dire que les premiers cités devraient rejoindre le parti qui leur correspond vraiment. Non, les traditions sont trop fortes pour que cette opposition, cette grande distinction s’efface. Le système proportionnel est ainsi fait. On peut également se dire que la base des partis historiques, guère changée, a été fondée pour régler des problèmes du XIXe siècle. Or nous sommes au XXIe siècle! Cependant, les Verts montrent aujourd’hui qu’ils n’arrivent pas à former une alternative crédible. Les écologistes se sont concentrés sur la protection de l’environnement; le reste de leur programme n’est qu’un satellite du Parti socialiste.

Le PLR a perdu son siège au Conseil d’Etat. Quelle leçon le parti devrait-il en tirer?

En politique, rien n’est jamais acquis. On peut perdre, gagner, mais il convient d’avoir un programme et une personnalité forte. Ensuite, il faut choisir des candidats selon une tactique, et surtout ne pas commettre la faute de choisir un candidat trop tôt, comme dans le cadre de cette votation. C’est ce qui a été à la base de cette situation dramatique au-tant pour le parti que pour l’homme qui le représentait.

Le Regard Libre est un journal réalisé par des étudiants. Selon vous, que faudrait-il améliorer dans le système éducatif valaisan?

Je constate tout d’abord que les résultats sont, de manière générale, plutôt bons. A mon sens, les efforts d’intégration des handicapés à l’école primaire doivent par exemple être poursuivis. Cela constitue un plus aussi bien pour les handicapés, qui se sentent acceptés, que pour les autres enfants, qui apprennent à vivre en communauté avec tout ce que celle-ci englobe. Ce qui en revanche m’a toujours choqué, c’est que l’on n’ait pas réussi à mieux profiter du bilinguisme de notre canton. Il y a en particulier un véritable déficit dans la connaissance de l’allemand chez les valaisans francophones. Le bilinguisme est une grande chance qui nous est donnée; à nous de la saisir. L’existence des filières bilingues au collège montre la voie à suivre.

Comment recevez-vous la décision de plusieurs cantons germanophones de supprimer l’apprentissage du français à l’école primaire?

Je trouve cela dommage. Surtout, leur argument me paraît vraiment étrange: l’enseignement du français serait difficile. Eh bien, les mathématiques non plus ne sont pas simples pour tout le monde. C’est une erreur, mais la Confédération peut suggérer l’apprentissage de l’anglais avec celui du français, sans l’imposer pour autant. En tout cas, les lois n’égaleront jamais la bonne volonté des enseignants.

En général, que pensez-vous de l’importance de l’apprentissage des langues, notamment des langues anciennes, dans une société où les mathématiques prennent de plus en plus de place?

Il ne faut pas opposer les langues aux mathématiques, qui sont deux cultures indissociables! Le latin, par exemple, que vous avez le luxe d’étudier, est une richesse formidable. Il m’arrivait, quand j’étais encore conseiller fédéral, d’essayer, le soir, de traduire un texte latin. Après 10-15 minutes, je transpirais. Je transpirais, physiquement! Il s’agit d’une gymnastique intellectuelle remarquable. C’est vraiment un luxe dont vous bénéficiez. Un beau cadeau, mais pas facile.

Finalement, Marguerite Yourcenar disait que pour connaître un homme, il faut connaître sa bibliothèque. Avez-vous un auteur ou un ouvrage favori?

J’en ai beaucoup. Un jour, quelqu’un me demandait quel livre avait le plus compté dans ma vie: je pense que c’est L’homme à la découverte de son âme de Jung. J’ai également lu avec passion l’historien des mythes et des religions Mircea Eliade ainsi que Gaston Bachelard, qui cherchait à comprendre ce qu’il y a de scientifique derrière des énoncés mythiques, dans l’alchimie par exemple. Dans les auteurs de la littérature française, j’ai reçu pour mes vingt ans l’œuvre de Montaigne dans la Pléiade. J’ai aimé Conrad, j’ai lu tous les Yourcenar, et les œuvres de l’auteur égyptien Aswani m’ont profondément marqué. Lors de mon déménagement, j’ai «assaini» ma bibliothèque; mais depuis lors, je l’ai à nouveau remplie.

Crédit photo: Fanny Schertzer / Wikimedia CC 3.0

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