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Noël optimiste (Rencontre avec Suzette Sandoz)9 minutes de lecture

par Sébastien Oreiller
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Le Regard Libre N° spécial « Langue française » – Sébastien Oreiller

Tout d’abord un grand merci à Mme Suzette Sandoz, ancienne conseillère nationale vaudoise, qui a gentiment accepté de répondre aux questions du Regard Libre pour son édition de Noël ! Durant cette entrevue, les questions ont tourné autour de trois thèmes : Noël comme fête religieuse, comme fête familiale et comme fête consumériste.

Sébastien Oreiller : Madame, que répondre à ceux qui trouvent que le rôle de Noël est déplacé, étant donné que beaucoup de gens ne croient pas en Dieu ? Peut-on partager des valeurs chrétiennes sans être croyant ?

Suzette Sandoz : Tout à fait. Noël est une fête de lumière et de générosité, y compris pour une personne qui n’en partage pas la raison d’être. C’est la célébration d’une naissance, reprise de la fête païenne de la lumière, la renaissance de la vie. Il s’agit donc d’une valeur tout à fait conciliable, même pour celui qui ne croit pas. Mais Noël, c’est aussi la fête de cette valeur éminemment chrétienne qu’est le don. Pour la population, cela se traduit par le fait d’offrir des cadeaux, indépendamment du consumérisme sur lequel nous reviendrons plus tard.

Selon vous, quelle est la place de Noël dans un Etat laïque ?

Noël est une fête ; si quelqu’un la refuse et préfère aller travailler, très bien ! Il n’y a aucun problème quant à cette célébration dans un Etat laïque : notre culture est marquée par le christianisme depuis deux mille ans. Les fêtes qui ont été instaurées sont devenues des jours fériés, ce qui a contribué, comme tout ce qui est chrétien par ailleurs, à une amélioration du sort des travailleurs. Quant à la polémique récente sur les cantiques de Noël en Italie, celle sur le crucifix ou les crèches, par exemple, j’appelle cela le syndrome de Palmyre, en référence aux destructions de Daesh. Il s’agit de renier toute culture, et nous faisons la même chose. Aujourd’hui, nous tendons à ne reconnaître l’importance de la culture qu’à partir du moment où elle est morte.

Comment donc concilier valeurs chrétiennes et laïcité ? Tout d’abord, il ne faut pas confondre culture et césaropapisme. La culture influence le pays où l’on vit ; cela n’a rien à voir avec un risque de récupération du pouvoir par la religion ou vice versa. Pour garantir cela, l’Eglise ne devrait jamais donner un mot d’ordre sur une votation. On peut être un très bon chrétien tout en votant comme on veut. L’Eglise peut attirer l’attention sur la problématique, mais elle ne doit pas donner un mot d’ordre. En fait, l’Etat ne doit pas être laïque, mais neutre ; cela signifie qu’il ne peut favoriser aucune religion. Dans un canton, il peut favoriser une Eglise, et non une religion, car, d’une Eglise, l’on connaît toutes les nuances. Là se situe tout le problème de reconnaissance des communautés islamiques, étant donné que nous n’en connaissons pas tous les mécanismes… Regardez par exemple la nouvelle Constitution genevoise : la laïcité, qui y figure expressément, y devient une religion. En réalité, la neutralité est le seul principe qui permet de respecter la liberté de croyance. Voilà pourquoi la Constitution vaudoise est bien faite : l’Etat souligne la dimension spirituelle de la société et reconnaît d’utilité publique les Eglises réformée et catholique, parce qu’elles contribuent au lien social et au dialogue. Il est indispensable de reconnaître cette valeur culturelle.

« En réalité, la neutralité est le seul principe qui permet de respecter la liberté de croyance. »

Venons-en maintenant à « Noël, fête de famille ». Cherche-t-on à imposer un modèle dépassé, celui de la Sainte Famille ?

Sur le plan religieux, c’était bien une famille qui se formait. Il est important, sur le plan symbolique, que Noël soit la fête d’une famille heureuse de se retrouver. Quant à la Sainte Famille, il y avait une femme, un homme, un enfant. D’ailleurs, les fanatiques des études genre diraient que comme Joseph n’est pas le père biologique et que Dieu n’est ni homme ni femme, on pourrait imaginer qu’il y ait eu deux pères… Mais je n’apprécie pas spécialement les études genre… Aujourd’hui, on dit : « Ce qui importe, c’est le sentiment d’affection ! » mais ce ne sont pas les sentiments d’affection qui font un enfant. On accuse le modèle traditionnel d’être un modèle dépassé. Commençons par définir ! Que ce modèle ne soit plus unique ne signifie pas qu’il soit dépassé, ni que les autres modèles soient meilleurs. Maintenant, nous avons la prétention de dire que tout changement est bon. C’est faux : il va falloir juger au cas par cas.

On ne peut donc pas dire que Noël n’est qu’une fête chrétienne, défendant des valeurs chrétiennes, pour des chrétiens ?

Certes, Noël est une fête d’origine chrétienne. Il est d’ailleurs admirable que cette religion ait été capable de transcender la fête de la lumière qui n’était pas chrétienne, à la base. Cela montre bien la force de ce qui dure depuis plus de deux mille ans : l’importance de la naissance et de la lumière. Ce n’est surtout pas une fête qui est fermée sur elle-même. Au contraire. En voulant systématiquement couper Noël des valeurs chrétiennes, on va supprimer toute fête. Nous aurons alors Halloween… Cela rejoint votre question sur le consumérisme. On peut comprendre, par exemple, que la fête des pères n’ait pas toujours été fêtée, le père n’étant jamais sûr (ndlr : règle de droit romain). Cette fête est une question à la fois de consumérisme et d’égalité. De toute façon, la fête des pères et celle des mères seront bientôt supprimées pour des motifs d’égalité, on fera la fête des éprouvettes… Des ventres à louer… Tout cela posera un problème.

La bien-pensance a-t-elle changé de bord ?

Au fond, quand on parle mariage, on envisage non seulement un couple mais aussi la symbolique de la filiation (même s’il n’y en a pas). J’ai mis longtemps à m’en rendre compte. Quand on parle de partenariat enregistré (ndlr : l’union homosexuelle qui existe actuellement en Suisse), on n’envisage qu’un couple. Je remarque que cela a été d’une très grande habileté (d’ailleurs, la conférence des évêques avait soutenu le texte) et je regrette d’avoir milité contre. Le législateur a réussi à mettre dans une institution seulement ce qui concernait le couple. C’est donc tout à fait légitime : sitôt qu’on parle de mariage, il y a symbole de filiation. Quant à se faire qualifier de mal-pensants, même si cela n’est pas dit expressément, je considère qu’il s’agit toujours d’un moyen totalitaire que de déprécier par ce genre d’épithètes ceux qui ne sont pas d’accord. Il ne faut pas manquer de le dire. “L’esprit d’ouverture”, c’est la bien-pensance actuelle. Mais il ne faut pas céder : les meilleurs parents sont ceux qui osent dire non à leurs enfants, et il faut aimer plus pour oser dire non que pour dire oui.

Pouvons-nous dire que les mouvements libéraux et les mouvements radicaux (j’en suis) ont, par leur anticléricalisme, causé cette perte des valeurs ?

Voilà une question qui me tarabuste ! Avons-nous fait faux pour ne pas avoir réussi à transmettre les valeurs ? Mes petits-enfants sont-ils sensibles aux valeurs chrétiennes ? C’est peut-être l’âge… Comment avons-nous failli ? Ce qui me frappe le plus, c’est que mai 68 a détruit sans reconstruire. Beaucoup d’idéaux socialistes, radicaux, libéraux (néo-libéraux), ont contribué à détruire. Dans le canton de Vaud, le libéralisme est lié au protestantisme, tandis qu’en Valais, le libéralisme ne s’est développé que pour faire pièce au PDC. Ceux qui doivent transmettre des valeurs ont une responsabilité. Quant à l’Eglise, comme institution, elle a commis beaucoup d’erreurs. L’Eglise est composée de personnes. « Il ne faut pas tirer argument contre la doctrine des faiblesses de ses fidèles » disait Roger Caillois. J’essaye toujours de me dire : s’ils n’étaient pas chrétiens, ils seraient sûrement pires. Pour transmettre des valeurs, il faut donner envie parce qu’on les a ! J’ai rencontré des socialistes chrétiens qui portaient le malheur du monde sur leurs épaules. Ce n’est pas leur rôle : le malheur a été porté sur la Croix. Cela m’a frappée.

« Les meilleurs parents sont ceux qui osent dire non à leurs enfants, et il faut aimer plus pour oser dire non que pour dire oui. »

Venons-en maintenant à « Noël, fête consumériste ». Les libéraux sont-ils responsables de l’instrumentalisation de cette fête ?

Ah non ! Pas le libéralisme politique, en tous cas. La doctrine économique peut-être. Il y a une grande différence entre ces deux courants. Le courant politique exerce une responsabilité sociale alors que le courant économique n’en a pas. Il faut insister sur cette différence. Le radicalisme n’est pas le capitalisme. Bien sûr, personne au PLR n’est opposé au capitalisme : il fait partie de la liberté du marché. En revanche, la politique doit avoir une responsabilité éthique, qui a disparu tant dans le libéralisme que dans le radicalisme, et de même au PDC. Et ce à cause de la recherche du pouvoir, conféré par l’argent. Cela est d’autant plus vrai avec la globalisation : l’argent devient un moyen facile de comparaison entre des identités, le plus petit commun multiple. Certes, on ne peut pas lutter contre la globalisation, il s’agit d’un fait technique, mais il faut lutter contre la réduction à l’argent. Et c’est le rôle de la politique.

Si les libéraux n’ont pas fait de Noël une fête consumériste, en ont-ils du moins fait une fête individualiste, comme leur doctrine est centrée sur les libertés personnelles ? « Chacun fait ce qu’il veut et après moi les mouches » ?

Non. Si l’individu est libre et responsable, il est aussi responsable des autres. D’ailleurs, en tant que le christianisme est une religion de liberté et de responsabilité, on peut dire que le libéralisme est une branche du christianisme (sans le côté transcendant, bien sûr). En passant, je me suis demandé dans quelle mesure l’instauration de comités d’éthique a, au fond, vidé les partis politiques de leurs responsabilités éthiques. Avec eux, il n’y a besoin que de leur aval et “d’un consentement éclairé”, très facilement obtenu. Pour moi, ces comités ont un effet négatif. En tant que professeur à l’université, j’ai participé à des séminaires de bioéthique ; je n’ai jamais réussi à faire comprendre à mes élèves qu’il faut mettre la problématique en évidence pour voir comment on la traite avec le droit. C’est une démarche qui demande une certaine capacité d’abstraction.

« L’argent devient un moyen facile de comparaison entre des identités, le plus petit commun multiple. Certes, on ne peut pas lutter contre la globalisation, il s’agit d’un fait technique, mais il faut lutter contre la réduction à l’argent. Et c’est le rôle de la politique. »

Finalement, quel avenir voyez-vous pour Noël ?

Je suis toujours optimiste, et je suis convaincue que l’on arrivera à faire triompher les valeurs. Nous n’avons pas encore touché le fond ; il va falloir rebondir, mais ce genre de rebondissement se fait toujours dans la douleur. Je crois fermement en cette capacité de rebondissement de l’être humain, parce que les valeurs existent.

Madame Sandoz, au nom du Regard Libre, je voudrais encore vous remercier pour cette entrevue et ainsi vous souhaiter de Joyeuses Fêtes.

Crédit photo : © leregional.ch

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