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L’éthique du raffinement4 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Le Regard Libre N° 21 – Adrien Faure

Les valeurs nous meuvent. Elles déterminent nos émotions et nos émotions déterminent nos actes. Par exemple, c’est parce que je pense que la liberté est une valeur importante que je ressens de l’indignation lorsque je vois la liberté d’individus violée. L’indignation (émotion) m’incite ensuite à vouloir mettre fin (acte) à la violation de la liberté (valeur). Parce que les valeurs jouent un rôle crucial dans notre vie en guidant nos actes, il convient de nous demander : quelles valeurs devons-nous adopter dans notre vie pour nous réaliser en tant qu’individus ?

La multiplicité et la diversité des individus rend difficilement envisageable l’idée qu’il existe une éthique, un code moral, adapté à tous. J’ai tendance à penser qu’il existe des types d’individus (et peut-être aussi des phases de vie) pour lesquels certaines valeurs seront plus valables que pour d’autres. La clef réside probablement ici dans la comparaison de différentes éthiques de vie pour que chacun puisse se construire au mieux en sélectionnant ce qui lui correspond. En réfléchissant sur quelles étaient les valeurs les plus importantes pour moi, j’en suis venu à considérer une valeur peu commune (en tout cas rarement considérée, il me semble) : le raffinement. Essayons un peu d’explorer ce que l’on pourrait dire sur cette valeur (considérez cet exercice comme une improvisation intellectuelle – de la même façon qu’au théâtre les comédiens improvisent parfois, je m’élance sur la scène le cœur à nu sans souffleur ou texte prédéfini).

Pourquoi considérer le raffinement comme une valeur importante de l’existence ? Après tout, beaucoup de choses apparemment simples de la vie peuvent sembler valables, comme la nourriture, le travail de la terre ou, évidemment, la sexualité. En fait, ces choses qui a priori semblent simples ne le sont pas tant que cela. Cuisiner et avoir une sexualité épanouie demandent de la pratique, de la technique et une certaine sensibilité (une qualité émotionnelle qui ne s’acquiert pas simplement), autrement dit, une certaine sophistication. Quant au travail de la terre sans machines (c’est-à-dire dans sa simplicité), il n’est attirant que pour certains esprits en mal de retour à la nature ou comme hobby (donc comme activité temporaire). Par conséquent, nous abordons et effectuons les choses « simples » avec un certain degré de sophistication et ce qui est réalisé simplement est moins bien effectué que ce qui est réalisé de manière sophistiquée (si cette argumentation vous intéresse, vous trouverez une argumentation relativement proche chez le philosophe utilitariste John Stuart Mill). Toute l’histoire de l’humanité consiste d’ailleurs dans le dépassement de ses conditions primaires et basiques pour atteindre un degré de développement supérieur, que ce soit dans le domaine technique et technologique, culturel (au niveau des mœurs), artistique (et esthétique), économique, scientifique, politique, philosophique ou moral.

Je vois trois champs principaux où l’on pourrait instancer cette valeur de raffinement et c’est pourquoi je parlerai successivement de raffinement intellectuel, de raffinement esthétique et de raffinement émotionnel. Passons-les en revue.

Un esprit mou, lent, conformiste, docile, indifférent, est un esprit mort. Les masses guidées par les fascistes, la chair à canon des militaires, les disciples de sectes absurdes, sont tous composés de ce même esprit « doxatique » et moutonnier. Le zombie contemporain est celui qui ne sait penser par lui-même ni ne sait penser tout court. C’est celui qui n’a pas de courage intellectuel et n’ose pas s’opposer à l’erreur, à la sottise ou à la bêtise. Le raffinement intellectuel consiste donc à embrasser les vertus épistémiques : indépendance d’esprit, clarté de la pensée, respect de la logique, originalité (capacité à innover), capacité à argumenter, etc. Autrement dit, il convient d’adopter une attitude (étymologiquement) philosophique : amour de la sagesse, haine de la sottise (les deux étant probablement aussi importants l’un que l’autre).

La montagne qui se dresse au soleil levant, la fleur qui éclôt au printemps, la jeunesse qui s’élance dans la vie, voici des exemples de beauté probablement considérés comme simples. Le raffinement esthétique ne peut évidemment consister à simplement embrasser ces beautés, ni même à seulement cultiver une sensibilité à cette beauté. Par raffinement esthétique, je parlerais plutôt de sensibilité artistique envers la vie, que l’on pourrait traduire par une maxime partagée autant par les dandys que les situationnistes : faire de la vie une œuvre d’art. On ne peut obtenir un tel résultat qu’en cultivant un certain nombre de traits de caractère et c’est pourquoi le point suivant est celui du raffinement émotionnel.

La passivité, l’indifférence, l’inaction, la lâcheté, la peur maladive (excessive, car la peur du danger est saine en soi), sont des émotions qui nous mènent au bord du gouffre et qui font de nous des proies faciles pour le plus grand monstre qui menace la civilisation occidentale, la Bête de Baudelaire : l’Ennui. « Go fast, go wild. » Kerouac et les Beats nous ont ouvert la voie vers la solution pour étouffer la Bête que l’on peut résumer en trois traits de caractère : la passion, l’exaltation et le tourment. Passion d’abord, passion pour les choses de la vie, intensité comme maître-mot, comme température corporelle, ou, comme le dit si magistralement Kerouac : « The only people for me are the mad ones, the ones who are mad to live, mad to talk, mad to be saved, desirous of everything at the same time, the ones who never yawn or say a commonplace thing, but burn, burn, like fabulous yellow roman candles, exploding like spiders across the stars ». Exaltation ensuite, comme capacité à l’enthousiasme pour une cause, c’est à dire exaltation comme capacité à agir pleinement moralement. Et enfin, tourment, comme sublimation romantique de la douleur ou de la peine en une émotion esthétique : la souffrance se fait alors événement narratif dans une trame plus globale et prend une valeur esthétique qui lui retire une partie de sa lourdeur et de son poids sur notre vie.

Voilà ce que je me sens à même de dire pour l’instant sur cette valeur du raffinement ainsi que sur l’éthique que l’on pourrait développer à partir d’elle. Concluons notre improvisation intellectuelle sur ces quelques mots de Guy Debord : « L’individu doit être passionnant ou ne pas être. » Amen.

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