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Exit, un joyeux suicide5 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Regard sur l’actualité – Loris S. Musumeci

Il y a aujourd’hui dix nuits de cela, Monsieur « O. » se donnait la mort, dans la solitude de son domicile. Il se sentait « fatigué de vivre », disait-il. Le suicide est sombre et dramatique. Il n’est rien de plus horrible que de perdre son corps en le regardant ridé et marqué d’une vie qui n’a encore jamais cessé. C’est toujours la première fois que l’on meurt. Assister au dernier instant de l’existence, sa propre existence, donne le frisson de la nouveauté, de la grandeur, de la fin. L’ultime frisson : inutile, oublié, mort.

Monsieur O. fut toutefois victime. Ses hostiles frères, Bernard et Claude, ainsi que l’injuste justice genevoise s’étaient opposés à son envie de partir paisiblement. Alors même que l’association Exit avait proposé la solution idéale : un joyeux suicide accompagné. Qu’y avait-il de mal à respecter le choix individuel d’un homme simple et normal ? On en appelle sans cesse à la très sainte liberté pour mener une vie heureuse. Dès qu’il s’agit cependant d’expirer, une bonne fois pour toutes, le souffle des douleurs et du mal-être, la liberté n’est plus prise en considération. Pis encore lorsqu’une telle corruption prend sa source tragique au sein de la justice et de la famille. Apparaît là un second suicide, celui de la compassion.

L’affaire, au cœur de l’actualité, suscite un débat des plus passionnés. Le jour du décès de Monsieur O. avait été programmé pour le 19 octobre de cette année. Ce dernier, en pleine santé, s’est vu refusé l’administration du poison, nonobstant son désir exprimé à Exit, par ses deux frères. Ils sont allés jusqu’en justice afin de se battre contre une situation jugée absurde. Leur frère voulait mourir, à 82 ans, parce qu’il ne réussissait pas à se remettre du décès de sa compagne, advenu il y a deux ans. La RTS aussi s’était intéressée à ce cas, au point d’y consacrer un débat le 26 octobre par l’émission télévisée Infrarouge. Le tribunal se trouvait à ce moment-là en pleine discussion. Avant même qu’un jugement pût être prononcé, Monsieur O. s’est suicidé de ses propres moyens.

L’indignation, ce Janus, est alors à double face. D’une part, l’association Exit accuse les opposants au suicide d’avoir tué l’occasion d’une mort assistée, digne et tranquille. De l’autre part, les deux frères de Monsieur O. ont déposé un complément de plainte pénale contre Pierre Beck, vice-président de l’organisme, pour incitation au suicide. Celui-ci avait déclaré, dans L’Illustré du 2 novembre, qu’il était certain que son patient allait de toute façon se suicider.

Qui est responsable d’une telle situation ? Monsieur O., sans l’ombre d’un doute. C’est effectivement lui qui a voulu mourir, c’est lui qui s’est suicidé. Mais qui est coupable ? Exit, malheureusement. La sournoise organisation s’est jouée la peau d’un faible, derechef, encore et toujours. Elle subsiste par cela, pardonnez-la. Alors que le défunt, psychologiquement fragile par son âge et la perte de son amie, avait adressé, en avril dernier, une lettre de secours à Exit en demandant la mort, les gentils médecins inconscients, dont Monsieur Beck fait peut-être partie, ont simplement acquiescé. Evidemment, si quelqu’un veut mourir, autant l’aider, cela semble une évidence ! Au nom de quoi ? la « compassion ». De quel droit ? la « liberté ».

Honte. Erreur profonde que celle d’Exit à confondre la vie et la mort. Bêtise extrême que celle d’Exit d’attribuer à la mort ce qui est censé permettre l’espérance et le désir de vivre.

Mon cri est violent ; mon chagrin, amer. Je ne peux néanmoins point me permettre quelconque sentimentalisme. Bien que mes tripes soient convoquées dans l’affaire, la déraison serait plus fautive encore que l’administration du suicide. La condamnation nette des personnes œuvrant pour Exit serait inacceptable. Celles-ci s’engagent et veulent aider le souffrant. Noble et louable attitude que la leur. Ce que j’accuse fermement, c’est la manière, maladroite et fausse au possible. C’est pourquoi, je présente, d’emblée, mes excuses à ceux qui seront blessés par le présent article. Il n’en demeure pas moins que le devoir de parler prime ici sur la discrétion d’un silence.

Sans tomber dans le classique discours « pro life » qui aime chanter à tue-tête que la vie est sacrée, il convient d’expliquer le mal de l’aide à un suicide.

On n’a pas le droit de se suicider. On n’est pas libre de le faire. On le peut cependant ; les tristes preuves défilent au quotidien. La liberté est en effet au service de la vie. Elle sert au bonheur. Si l’intelligence désire le bien véritable, la liberté le réalise. Or, ce dernier s’expérimente ; se vit. Il n’existe pas en dehors de la vie. Ce n’est donc pas être libre que vouloir mourir car la mort, bien que naturelle, n’est pas bonne. Il est normal de mourir, mais ce n’est pas juste. La mort est privation de vie, et par là de bien.

Et la compassion ? Elle signifie, par son étymologie latine, « souffrir avec ». Comment peut-on seulement « souffrir avec » si l’on propose à celui qui souffre de disparaître. Il faut chercher à surmonter la souffrance, mais vivre est une condition essentielle pour que ce soit envisageable. Au nom de la compassion, on liquide celui qui souffre. La faute se trouve dans le niveau de valeur donné à la vie de l’humain, parce qu’en réalité, il n’y a pas même possibilité de jugement de valeur face à la personne. En tant que « substance individuelle de nature rationnelle », selon la définition de Boèce, la personne vaut en soi. Elle a une valeur complète par le composé d’âme spirituelle et de matière qu’elle est. Il n’y a, en ce sens, pas à se poser la question si la vie vaut la peine d’être vécue ou non. C’est bien là qu’il est opportun d’évoquer la dignité humaine, inviolable et intrinsèque à la personne. La vie, gardant sa valeur en tout et contre tout, n’est pas tel le préservatif à jeter, une fois l’orgasme d’une douce relation de jeunesse passé.

Illusion nihiliste que celle d’Exit.

Ce plaidoyer n’aurait aucun sens, s’il n’était pas un hommage à Monsieur O. ainsi qu’à tous ceux qui se sont arrachés de l’existence. La vraie compassion, l’écoute et l’amour inconditionnel constituent la difficile réponse au suicide.

Puissiez-vous, ô ma reine Espérance, demeurer en chacun, quelle que soit l’impasse ou l’angoisse. Car sans vous, c’est le drame.

Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com

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