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Du renoncement3 minutes de lecture

par Sébastien Oreiller
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Le Regard Libre N° 22 – Sébastien Oreiller

La philosophie orientale, notamment la Baghavad Gita, met souvent en avant le principe du renoncement, renoncement aux désirs et aux attaches matérielles. Hermann Hesse, dans son Siddharta, s’inspire de cette idée du renoncement, tout en l’adaptant à notre optique occidentale, judéo-chrétienne : la conclusion du roman, à travers l’image du fleuve, nous laisse entrevoir le cours de la vie comme étant véritablement le sens du Tout et de l’Un. Exit donc l’idée d’un ermite, à moitié nu, dans une grotte de l’Himalaya. Cette interprétation me paraît attrayante, car elle s’écarte du dessèchement matériel et émotionnel, tout en mettant l’accent sur l’acceptation de son propre sens de la vie, indépendant et pourtant intrinsèquement lié à la vie des autres.

La « Maya » est l’illusion du monde, l’illusion de la réalité des choses. Sans entrer dans un débat platonicien sur les idées, la caverne et autres, restons concrets et disons simplement que la Maya, à notre niveau de tous les jours, peut être l’illusion de l’importance que l’on donne à certaines choses, nous-mêmes, mais surtout les autres. Tous les groupes, qu’il s’agisse de groupes d’âge, de groupes sociaux ou culturels, définissent certains éléments comme ayant plus ou moins de valeur. Sans aller jusqu’à parler d’inconscient collectif pour des faits qui restent, somme toute, bien triviaux, il serait assez justifié de qualifier ces éléments d’habitus, à la suite de Bourdieu, que je n’aime pourtant pas beaucoup. On est bien dans tel groupe, parce que l’on possède ceci, parce que l’on fait cela ; paradoxalement, ceux qui prétendent le plus à l’indépendance, voire à l’irrévérence face aux exigences sociales, peuvent peut-être se le permettre parce que ce sont ceux qui répondent le mieux à ces mêmes critères, des poissons dans l’eau pourrions-nous dire, qui n’ont rien de guérilleros, quoiqu’ils s’en donnent les apparences…

Qu’un certain nombre de valeurs soient nécessaires à la cohésion d’un groupe (si encore il s’avère que celui-ci mérite une légitimité), cela est bien normal ; ce qui n’est pas normal, en revanche, et dont il ne dépend que de nous de faire abstraction, c’est l’importance qu’on leur donne, importance relative, et surtout moyen de pression, utilisé par certains soit pour exclure, soit pour mettre mal à l’aise, en somme pour couvrir leur propre médiocrité du voile de la conformité ou non à ces mêmes critères. Et comme chaque homme fait partie d’une multitude de groupes différents, il s’en trouvera forcément un pour vous remettre en question. J’ai entendu dire une fois « que les êtres humains ne créent des groupes que pour détester ceux qui n’en font pas partie ». A juste titre.

C’est là que cette idée de Maya intervient : il n’y a qu’à faire un pas en-dehors du petit cercle étriqué de nos « moi », de nos amis, de notre travail, de nos relations amoureuses, pour s’abstraire de certains critères, de certaines manières de penser toutes faites, et pour se rendre compte que ceux-ci peuvent n’être que le fruit de petites tensions, de petites rivalités internes, de petits raisonnements assez galvaudés, et en fin de compte, beaucoup moins importants qu’on pourrait nous le faire croire, ou même que nous aurions envie de le croire, compte tenu de nos expériences et de nos souffrances personnelles. Finalement, même s’il est important de vivre avec les autres, il ne faut pas vivre pour les autres, sans quoi l’on s’engage dans des relations stériles, voire vénéneuses, où il devient impossible d’aimer l’autre et de venir en aide à son prochain. Medice, cura te ipsum, pourrions-nous dire. Voilà pour la note positive.

Je finirai sur une note plus pessimiste. Marcel Proust, parlant de « la solitude de l’homme et de la nécessité de l’accepter », considérait que « chacun est seul, que l’on a des passions et des sentiments mais qui sont indépendants de leur objet supposé, et que personne ne communique avec personne. » Au vu de ce que nous venons de dire, au vu des rivalités qui rongent l’être humain, et peut-être de la seule paix qui se trouve dans une distanciation face à la puissance normative de la société et de ses avis, ne pourrions-nous pas dire, en fin de compte, que « nous sommes autant d’îlots » ?

Ecrire à l’auteur : sebastien.oreiller@netplus.ch

Image : Caspar David Friedrich – À bord du voilier (1818)

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