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«La belle et la meute», une histoire qui en raconte mille autres3 minutes de lecture

par Hélène Lavoyer
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Il fait partie de la sélection officielle du festival de Cannes. La belle et la meute, première fiction de Kaouther Ben Hania (Le Challat de Tunis, 2014), raconte une histoire révoltante. Basé sur une histoire vraie, c’en sont des milliers qui y sont contées, tant ses thèmes, parfois floutés par celui du féminisme, sont universels.

Un dernier regard sur elles-mêmes devant le miroir et Mariam, accompagnée de son amie Najda, s’élancent sur la piste de danse ; le mouvement d’épaule précis, le sourire aux lèvres, adoucies par l’insouciance de la vingtaine, elles échangent quelques mots sur ce beau garçon qui se tient calmement au fond de la salle. Quelques instants après, Mariam (Mariam Al Ferjani) et son bel agneau s’en vont. Une heure de joie contre des dizaines d’horreur. Soudain, Mariam ne sourit plus, elle ne danse plus et son maquillage coule, abîmé par ses larmes. Le décolleté de la jeune femme est secoué par des hoquets de peur, ses jambes l’entraînent aussi loin qu’elles le peuvent dans Tunis, mais elles ne peuvent pas la mener bien loin. L’homme de la boîte qu’elle semblait fuir la redresse et chuchote sans parvenir à taire les bourrasques qui entrent et sortent par la gorge de Mariam.

Violée par des policiers, humiliée et relâchée dans les rues sombres de la ville, Mariam n’est plus une femme. Son nouvel ami, Youssef (Ghanem Zrelli) la convainc de se battre afin que sa voix résonne et que justice soit faite. S’ensuivent de longues heures au cours desquelles les deux héros seront ballotés d’hôpital en hôpital et d’un poste de police à un autre. L’indifférence, le respect ferme des lois, la confiance aveugle dans les institutions, appliqués d’une main de fer par les différents fonctionnaires, entameront l’espoir de Mariam. Sa détermination, cependant, subsistera jusqu’à la fin de ce long-métrage magistral et choquant.

Le film, inspiré de l’histoire contée par Meriem Ben Mohamed et Ava Djamshidi dans le livre Coupable d’avoir été violée, s’impose comme un témoignage de force et propose la continuation d’un combat entamé de longue date contre l’indifférence imposée aux femmes et peut-être même, au-delà du genre, aux victimes de violences. Il s’agit également de remettre en cause l’obéissance entêtée aux lois liberticides ; La belle et la meute prouve une nouvelle fois que l’inflexibilité ne peut être exercée dans un monde d’êtres humains aussi divers que nombreux.

Parce qu’il est tourné en plans-séquences, le film immerge le spectateur dans le réel de Mariam et le lui jette aux yeux dans son intégralité. Dans La belle et la meute, nous sommes donc toujours compagnons de l’héroïne, enfermés avec elle dans différents espaces clos et insalubres, dépourvus d’artifices ; les lieux sont donnés tels quels, dans leurs habituelles conditions. Rien ne vient détourner le regard du visage doux et rond de Mariam, si ce n’est ceux de la meute. Le pouvoir de la lumière est ici décuplé ; plongé dans une pénombre bleu-vert constante – celle de la nuit tunisienne, des couloirs d’hôpitaux ou des postes de police – le public ne sent jamais se desserrer l’étau de l’angoisse, qu’il sent de plus en plus autour de sa gorge. Seuls rayonnent la peau claire de Mariam et les crocs de ses détracteurs.

La première séquence au cours de laquelle nous rencontrons Mariam, son amie Najda et Youssef, est la seule qu’il est possible de considérer comme réjouissante ; en dépit de cela, le spectateur s’attend déjà au drame et aucun événement ou personnage, même bienveillant, ne saura contrebalancer la foule des malheureuses émotions qui submergent l’observateur. Ce constat est provoqué par l’ensemble du film, quoique surtout par les différentes personnalités qui s’y affirment sauvagement, à coups d’insultes et parfois d’impulsions violentes.

Malgré toutes les qualités de réalisation et d’interprétation, il est possible de reprocher à Kaouther Ben Hania d’avoir poussé à la caricature les comportements sadiques et d’avoir laissé des stéréotypes construire les différentes individualités. Ce ressenti, pourtant, ne saurait être confirmé que par une expérience concrète des institutions tunisiennes. L’issue du film aurait pu se passer de tant de théâtralité, mais La belle et la meute se démarque et s’impose en tant qu’œuvre cinématographique totale, tant par sa dimension militante que par une réalisation irréprochable.

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