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« Le Poirier sauvage »2 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci

Expérience étrange. Qui suscite même un certain malaise. Réaction assez normale pour un film d’auteur. Le Poirier sauvage. Car il s’agit bien d’un authentique film d’auteur, et pas des moindres. Cependant, il ne passe pas avec tout spectateur. La nouvelle réalisation de Nuri Bilge Ceylan signe-t-elle un (très) long-métrage vraiment mauvais ? Est-elle inaccessible ? Le trop-plein d’arrogance de Sinan, le protagoniste principal qui veut devenir écrivain, et du film en lui-même voile-t-il un chef-d’œuvre ? L’arrogance est-elle, au contraire, le reflet d’un faux grand réalisateur qui a réalisé un faux grand film ?

Dans tous les cas, Le Poirier sauvage porte en soi un véritable intérêt. Sa veine philosophique questionne sérieusement, mais non sans esprit de dérision, le rapport d’un jeune à sa famille, et plus précisément du fils au père. Elle interroge par là même la relation qui s’établit entre l’homme et sa terre natale, entre l’homme et la terre et les bêtes qui la peuplent. La caméra, quant à elle, offre une photographie qui tient sa puissance dans la tristesse aride des paysages, dans le ciel gris à pleurer d’Anatolie, et dans la laideur toute humaine des personnes qui s’habillent mal, ne prennent pas soin d’elles, et apparaissent banalement misérables à l’écran.

Ces points forts du film ont aussi leurs limites. Le travail sur l’image répète des techniques certes originales, mais plutôt lourdes. Le tour à trois-cent-soixante degrés qu’opère le viseur autour de Sinan voudrait parler par lui-même, ou prouver quelque chose. Néanmoins, la fatigue face à un scénario bavard et à la rallonge ainsi que le sentiment d’extériorité vis-à-vis d’une histoire trop distante bloquent l’accès au sens de ce procédé comme à celui du fondu-enchaîné dans la vitrine du début ou celui des auréoles de lumière à travers les feuilles d’un arbre.

Aussi, le scénario en question, d’apparence fin et très écrit, semble mal cacher son côté banal ; d’une banalité décevante, d’une banalité grotesque. Oui, Sinan hurle au téléphone avec son ami milicien pour rire sur l’oppression, et cet ami en rajoute – haut-parleur en pleine ville oblige – en moquant les « gauchistes » et autres fiers amoureux d’Erdogan. La discussion du personnage avec deux jeunes imams se voit déjà en scène culte du cinéma ; pourtant, qu’en sort-il ? « Si tu te mets à réformer la religion, tu ouvriras la porte à toutes les fantaisies humaines. » Bien, ces imams n’ont pas l’air très malins. « La religion empêche les gens d’accéder à leur propre vérité. » Et du côté de Sinan, ce n’est pas vraiment plus élevé ; niveau relativisme primaire prononcé par un ado agité, c’est réussi.

Il reste cependant que la démarche artistique de Ceylan est louable et doit être traitée avec respect, ne serait-ce que pour le courage de l’auteur en Turquie et par sa renommée phénoménale à l’international. Par ailleurs, découvrir les œuvres d’un tel réalisateur, c’est découvrir in vivo une partie de l’histoire du cinéma. Le projet du film est donc louable, et pourtant navrant. Pour le moins aux yeux d’un spectateur qui n’a sans doute pas réussi à goûter au précieux fruit du Poirier sauvage.

Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo : © trigon-film

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