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Accueil » «Le temps des mots à voix basse», ou l’art d’être concis et poétique

«Le temps des mots à voix basse», ou l’art d’être concis et poétique2 minutes de lecture

par Alexandre Wälti
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Les bouquins du mardi – Alexandre Wälti

La qualité d’un livre ne se mesure pas toujours à son épaisseur. Evidemment que 600 pages permettent une meilleure construction psychologique des personnages ou une trame plus élaborée que moins de 100. Anne-Lise Grobéty, en écrivant pour un jeune public, fait toutefois le pari des moments clefs au service du texte et de l’émotion. Elle réussit à toucher juste en allant droit au but dans Le temps des mots à voix basse.

Anton, l’épicier-poète, et Heinzi, le comptable-poète, vivent paisiblement en Allemagne et entretiennent un amour commun pour la poésie au fond du jardin, près des ruches. Le narrateur, fils d’Anton, raconte à quel point il ne peut pas se séparer d’Oskar, le fils de Heinzi. C’est un vrai ami! Il détaille leurs jeux et leurs bêtises tout en subissant l’influence du contexte historique malgré lui.

«Leurs grandes envolées poétiques étaient de plus en plus souvent remplacées par de longues discussions à mi-voix où je sentais flotter des vapeurs d’inquiétude.»

Anne-Lise Grobéty construit son roman dans les débuts de la Seconde Guerre mondiale. Cette menace d’abord lointaine influence petit à petit l’évolution des quatre personnages. Ce n’est ni un roman fleuve ni un exercice de style. Il n’est pas paru pour rien chez les Editions Joie de Lire puisque le texte est bref et écrit pour des lecteurs adolescents et adultes.

«On venait d’entrer en classe. Le maître a dit à Oskar, très fort:

– Toi, tu prends tes affaires et tu déménages tout au fond. Kurt, viens prendre sa place, devant!»

C’est ainsi que les premiers signes du nazisme entrent dans le quotidien et perturbent la lecture. Le narrateur observe de petits changements sans mesurer les grands bouleversements en marche. Du jour au lendemain, son père ne voit plus celui d’Oskar au fond du jardin et leurs discussions deviennent de moins en moins colorées. Le temps des mots à voix basse, justement.

«- Nous y voilà: par amitié tu mettrais ta propre vie en danger pour tenter de sauver la mienne? Tu connais un véritable ami qui demanderait une chose pareille? Si toi, mon ami, tu voulais prendre des risques pour moi, il serait de mon devoir de refuser ton aide. De savoir que toi, au moins, tu vis en sécurité serait un peu de baume sur mon malheur.»

Une amitié condamnée ou victime collatérale de l’Histoire en marche? Anton et Heinzi se posent des questions brutales. Ils doivent choisir entre maintenir un lien ou se séparer à jamais. Ces interrogations déteignent en miroir sur l’amitié entre leurs deux fils.

Anne-Lise Grobéty, et c’est là toute sa réussite, aborde des thématiques graves en gardant une légèreté poétique dans son écriture. Un équilibre qui est fragile comme la relation entre les deux familles. Un petit livre précieux et parfait pour entrer en littérature. Une première lecture qui en appelle d’autres, Heinrich Heine en tête.

«Quel oiseau lève-tôt embrouillait leurs paroles par instant?… Je ne m’en souviens pas.

Je me souviens seulement que l’heure était devenue grave tout à coup. Qu’elle pesait lourd dans leur bouche. Que les mots s’accrochaient à leurs lèvres comme pris dans les dents d’un peigne.»

«J’avais encore dans le corps

la légèreté de l’enfance.

Mais d’un coup je me remplissais

du poids de l’homme

et de ses supplices.»

Anne-Lise Grobéty
Le temps des mots à voix basse
La Joie de Lire
2001
74 pages

Ecrire à l’auteur: alexandre.waelti@leregardlibre.com

Crédit photo: © Alexandre Wälti pour Le Regard Libre

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