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«Le Sillon»: un Renaudot instructif3 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Tour d’horizon de quelques grands prix littéraires – épisode #1

Le Regard Libre N° 47 – Loris S. Musumeci

«Le Sillon est dédié à ceux dont l’absence et le souvenir résonnent entre ces lignes.»

Entre fiction et témoignage, Valérie Manteau raconte la déambulation d’une jeune journaliste française à Istanbul. Cette dernière se met sur les traces de l’éditorialiste arménien Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007 par un nationaliste turc devant les portes de son journal d’opposition Agos à Istanbul. Le roman ressuscite la mémoire de ce martyre de la liberté dans une Turquie bouffée par l’islamisme et le totalitarisme.

Comme l’an dernier, les jurés du Renaudot ont récompensé une œuvre instructive. En 2017, Olivier Guez a vu son ouvrage La Disparition de Josef Mengele primé pour avoir posé sur la place publique l’histoire romancée d’un médecin nazi exilé en Amérique du Sud. En 2018, c’est à nouveau l’Histoire qui est mise en l’honneur en attribuant le prix à Valérie Manteau.

D’une part, le livre est remarquable. Non seulement, il permet de connaître la figure de Hrant Dink, mais il offre des réflexions fines et poignantes sur la Turquie d’aujourd’hui. «Qu’est-ce qu’un pays où l’on peut assassiner un homme en pleine rue et être congratulé par ceux qui étaient censés le protéger?» On sent en outre la plume de la journaliste qu’est Valérie Manteau – ancienne de Charlie Hebdo – qui se déploie sur un terrain politique qu’elle maîtrise et pour lequel elle s’engage sans concessions.

«Dink était né, avec ce slogan ‘Nous sommes tous arméniens’ qui fut un tournant dans l’histoire de la Turquie, un mouvement de solidarité qui s’était déployé dès 2007, dans la campagne électorale du professeur et ancien éditorialiste d’Agos Baskin Oran. Son programme était que ‘les Turcs défendent les Roms, les Roms les Adyguéens, les Adyguéens les chômeurs, les chômeurs les femmes, les femmes les Alévis, les Alévis les homosexuels’; voilà ce contre quoi Erdogan est en guerre aujourd’hui.»

Si la réflexion sur la cohabitation pacifique de différents peuples au sein d’une même nation passe par le prisme de la Turquie, elle se veut universelle. Le lecteur suit là les déambulations géographiques de la jeune journaliste à Istanbul, comme il suit en même temps les déambulations mentales de Valérie Manteau à partir du témoignage de vie de Hrant Dink. En ce sens, Le Sillon prend une dimension supplémentaire au récit qui est celle de l’essai historico-philosophico-politique.

«Agos, c’est Le Sillon. C’était un mot partagé par les Turcs et les Arméniens; en tout cas par les paysans, à l’époque où ils cohabitaient. Le sillon, comme dans la Marseillaise? Qu’un sang impur abreuve nos sillons, quelle ironie, pour quelqu’un assassiné par un nationaliste. Jean acquiesce, si tu cherches des prophéties avec Hrant tu vas être servie. Lors d’une conférence à laquelle il avait été invité pour parler des minorités en Turquie, l’un des conférenciers, kurde, avait cru utile de rappeler que les Turcs et les Kurdes avaient en commun d’avoir combattu ensemble, et Hrant avait réagi: ‘De quelle paix parlons-nous, si nous fondons notre fraternité sur le sang versé ensemble? Ne pensez-vous pas que je vous demanderai à qui appartient le sang que vous avez versé?’»

D’autre part, il faut tout de même reconnaître que le livre comporte son lot de lourdeurs. Valérie Manteau est journaliste, et cela se voit un peu trop. Malgré tout l’intérêt de faire la connaissance de Hrant Dink et de découvrir Istanbul sous le regard de la protagoniste, le texte fatigue assez vite. On a fait l’impression qu’il s’agit plus d’un long article de journal que d’un récit. Il y a encore les petits problèmes de cœur du personnage principal qui peinent à captiver à cause de leur platitude.

Aussi, l’auteur nous parle certes de Turquie, mais on a parfois l’impression qu’elle se complaît à citer tout un tas de noms turcs difficiles à déchiffrer. Enfin, le style prend des libertés qui virent, selon les passages, à la maladresse, perdant le lecteur dans un tourbillon de confusion. Mais, je le répète, ces défauts n’enlèvent rien à la richesse d’avoir connu, le temps d’un livre, la figure passionnante de Hrant Dink, qui laisse décidément un sillon dans les mémoires.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Valérie Manteau
Le Sillon
Editions Le Tripode
2018
262 pages

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