Vous êtes sur smartphone ?

Téléchargez l'application Le Regard Libre depuis le PlayStore ou l'AppStore et bénéficiez de notre application sur votre smartphone ou tablette.

Télécharger →
Non merci
Accueil » «Roubaix, une lumière», ou la parfaite illustration de l’oxymore

«Roubaix, une lumière», ou la parfaite illustration de l’oxymore3 minutes de lecture

par Kelly Lambiel
0 commentaire

Les mercredis du cinéma – Kelly Lambiel

Lorsque l’on a pour habitude de présenter ses réalisations au festival de Cannes, il ne faut pas s’étonner qu’elles finissent par être rangées dans la catégorie «films d’auteur». Une étiquette qui colle plutôt bien à l’œuvre d’Arnaud Desplechin, même si elle se trouve être quelque peu réductrice. Avec des longs-métrages tels que Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), Ester Kahn, Un conte de Noël ou La Sentinelle,le réalisateur a prouvé, à plusieurs reprises, être capable d’explorer différents styles et registres. Avec Roubaix, une lumière, bien que fidèle à certaines thématiques, c’est au genre du réalisme poétique qu’il s’essaie, non sans une certaine virtuosité.

Une mise en scène poétique

Le nord de la France, un soir de Noël. Malgré le froid de décembre, l’atmosphère est lourde. Il fait «une chaleur moite», collante, nous confie en voix-off Louis (Antoine Reinartz), inspecteur fraîchement débarqué. Massivement employé dans les premières images, le fondu-enchaîné esquisse une ville passablement délabrée et peint le visage d’une classe populaire pour qui le temps semble s’être arrêté, une classe oubliée. Les images sont belles, la musique accompagne parfaitement chaque séquence. Les nombreux gros plans sont très soignés et magnifient le jeu des acteurs qui signent ici une belle performance et touchent le spectateur. L’exercice de style est donc incontestablement maîtrisé.

Mettre en scène la misère sociale et ses conséquences, pour mieux les comprendre ou pour exorciser certains maux, c’est le pari que semble s’être lancé Arnaud Desplechin. En 2008, le documentaire Roubaix, commissariat central revenait sur une sordide affaire de meurtre ayant eu lieu en 2002. Deux jeunes femmes, Marie (jouée par la méconnaissable Sara Forestier) et Claude (interprétée par Léa Seydoux) s’étaient introduites chez leur voisine, une dame âgée, afin de la voler et la tuer. Dix ans plus tard, le réalisateur se rend compte que ces images le hantent et décide de les retravailler. Il opte ainsi pour une esthétique réaliste, naturaliste même, comme prônée dans les films noirs des premières heures.

Un réalisme qui dérange

Si l’intention est bonne, le résultat, lui, n’évite pas les écueils sur lesquels des Balzac ou des Zola se sont quelque peu fourvoyés avant lui. Comme c’est le cas à lecture des romans-feuilletons du XIXe, on ne peut s’empêcher de trouver le temps long. Suivre le commissaire Daoud (magnifique et charismatique Roschdy Zem) dans ses enquêtes occupe une place trop importante dans le film. Certes, c’est là ce qui devrait permettre l’immersion totale dans la vie du commissariat, de poser le cadre, d’en apprendre un peu plus sur les personnages et d’installer l’ambiance, mais malheureusement le rythme est trop lent, le spectateur décroche. La trame principale arrive trop tard, noyée parmi des faits qui pourraient être de second plan.

Les dialogues, eux aussi, à peine retravaillés et emprunts des accents et tics de langage propres à la région, à l’origine ou au milieu dans lequel vivent les protagonistes, peuvent déranger. Là encore, le souhait de rester fidèle au réel se défend, mais on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression de se trouver face à une caricature ou une typisation des personnages. Des gens parlent-ils vraiment comme ça? Des gens vivent-ils comme ça? Si on accepte volontiers, parce que cela fait partie du polar, le stéréotype du commissaire taciturne et ultra-intelligent ou celui du jeune flic un peu torturé qui veut faire ses preuves, on a plus de mal à accepter que les seconds rôles fassent si vrai qu’ils menacent à tout moment de virer cliché.

A lire aussi: Qui m’aime me suive, un art balzacien

Au moment de quitter la salle, une conclusion s’impose à moi: Roubaix, une lumière fait partie de ce genre de films qui à la fois émeuvent et ennuient, touchent et embarrassent. Il me semble que c’est le cas parce que, comme le dit son titre, formule pratiquement antithétique, Roubaix, une lumière mêle à la poésie et à la beauté, ce qui nous effraie le plus et que nous cherchons à repousser, le banal et le quotidien. Nous les recevons ainsi en plein visage, malgré nous, et, pour cette raison précise, ce film me paraît tout à fait réussi.

Ecrire à l’auteure: kelly.lambiel@leregardlibre.com

Crédit photo: © Xenix Films

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Contact

© 2024 – Tous droits réservés. Site internet développé par Novadev Sàrl