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«Le Schmock»: FOG nous parle des flatulences d’Hitler8 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les bouquins du mardi – Loris S. Musumeci

Si ce n’était pour la jaquette du livre avec sa petite poupée d’Hitler à genoux, si ce n’était pour le nom de l’auteur, Franz-Olivier Giesbert – FOG pour les intimes –, Le Schmock n’attirerait en rien au premier abord. Encore un roman sur la période de la Seconde Guerre mondiale, dans l’Allemagne nazie qui plus est. Mais quand on aime bien FOG, on se lance quand même. D’autant plus qu’il nous annonce en quatrième de couverture que cette histoire, il la rumine depuis longtemps. L’auteur a quelque chose d’important à nous raconter. Histoire d’amitié, de famille, de politique; Le Schmock est un partage.

Heil Hitler, je veux une banane

Un partage qui commence très mal. On sait que l’écrivain manie la dérision et surtout l’autodérision avec talent. On le sait sympathique, décalé, mais rigoureux. Il n’écrit pas juste pour écrire. Suite à un prologue mystérieux et sensuel qui met en scène l’improbable union entre un officier nazi et une Juive fugitive, le roman saute en 2018. Entre Munich et New York, à la rencontre de deux vieillards, dont l’un atteint le record de l’homme le plus vieux du monde. Deux vieillards totalement loufoques, extravertis.

Drôle, mais on ne sait pas où la trame veut nous emmener. Quand on a un vieux perroquet qui hurle «Coucou, senorita, Nichte vous salue bien, approche-toi que je t’embrasse, heil Hitler, je veux une banane, Dieu n’est pas avec les SS, amen», forcément on rit, on reconnaît la légèreté de FOG. Au bout de quelques pages du même genre, c’en est trop. Amas de grand n’importe-quoi qui ne trace sur le visage du lecteur qu’une seule expression après un rire de courte durée: la déception.

Bien écrit, fluide, mais catastrophique au niveau du contenu. Le massacre dure soixante-quatre longues pages. Et comme si l’auteur avait prémédité les limites de la patience de son lecteur, il passe ensuite aux choses sérieuses. Au prix d’en avoir perdu certains en cours de route, FOG a en fait accompli un acte majeur en littérature, celui de se faire plaisir. Peut-être même qu’il a écrit la première partie sous l’effet de la boisson, dont tout le monde sait qu’il en apprécie les goûts et les vertus – et il a bien raison!

Loris S. Musumeci présentant «Le Schmock» pour l’émission« Marque-Page» de La Télé

FOG, un bosseur

Passer aux choses sérieuses ne signifie pas devenir sérieux. Tout le roman durant, le texte garde son humour. Hormis pour des passages où la gravité des faits contés oblige à une certaine sobriété, hormis pour des passages où la destruction d’idées reçues sur la période, sur le nazisme et sur Hitler, exige une vigueur certaine de la plume qui ne rigole plus. FOG nous réveille, il nous apprend beaucoup. Parce que comme il aime à dire: «Moi je suis bosseur.» Oui, il bosse. Il en a lus, des ouvrages, pour nous offrir Le Schmock. Un partage de connaissances, d’humour, d’émotions et de réflexions. Un partage généreux donc, qui malgré son début exaspérant devient précieux et plaisant au fil de sa lecture.

Pour que ce soit plaisant, il faut une histoire plaisante. Une histoire qui nous emporte. Une histoire où la folie des personnages peut nous en apprendre sur la condition humaine, dans ses joies et dans ses peines. Dans ses espoirs et ses déboires. L’époque est aux séries et aux sagas. Si le phénomène paraît nouveau, il a connu en réalité le succès depuis toujours. Ne serait-ce que pour la passion du lecteur à suivre l’histoire d’une famille à travers quelques générations. Sans être construit non plus sous la forme stricte d’une saison à épisodes, Le Schmock fait voyager le lecteur à travers les années, Stufe bei Stufe – puisqu’on est en Allemagne –,  à travers trois générations.

Trois générations de deux familles, unies par l’amitié et le commerce, peu à peu séparées par les diktats raciaux: la famille Weinberger est juive, la famille Gottsahl allemande de souche. Pourtant, les membres de ces familles sont des gens bien, des gens cultivés qui savent dépasser les élucubrations de la montée de l’antisémitisme. Des gens qui savent aussi être attablés avec Hitler en faisant la part des choses sur son idéologie naissante. FOG a le sens des personnages. Il réussit à dresser le portrait de chacun des membres de ces deux familles en donnant envie au lecteur de les connaître toujours davantage. D’entrer en eux. De penser avec eux. De pouvoir comprendre grâce à eux comment cette nation d’intellectuels et d’artistes a laissé, sans trop de soucis, un malade, un Hitler, arriver au sommet. A tout commander.

Adolf Hitler, le schmock

Hitler est un schmock

A partir des personnages, et du parcours en eux, on passe à Hitler, qui donne d’ailleurs son nom au titre. «Schmock» veut dire «imbécile» en yiddish. Hitler est un schmock. C’est du moins ce qu’en jugent la plupart des Allemands de bon sens, la plupart des Juifs qui ne peuvent pas voir arriver le danger. Comment un tel marginal, pas si méchant d’ailleurs à ses débuts, pas si mauvais peintre qu’on le prétend, malade au sens propre du terme, déçu par tant de trahisons peut-il aliéner tout un pays, tout un Reich?

« – J’ai vu des photos de toi avec Hitler…
– Je l’ai vu quatre ou cinq fois.
– Quel genre d’homme était-ce?
– Un personnage triste, complexé. On ne se méfie jamais assez des gens complexés. Il n’avait aucun humour. Le rire nettoie tout, la bêtise, la méchanceté, mais il les gardait en lui. C’est sans doute pourquoi il sentait si mauvais. Il avait l’haleine, la sueur infectes. Autour de lui, l’air était irrespirable, les personnages sensibles faisaient des malaises. Je te raconterai, j’ai pris des tas de notes sur cette période. Je te les montrerai.»

Réalité du personnage d’Hitler que l’auteur prend également en pitié parfois, mais qu’il tourne surtout en dérision, de façon fort amusante:

«Que l’on permette une incise à l’auteur. Tous les historiens s’accordent sur ce fait essentiel qui pouvait expliquer les nombreuses grimaces ou colères d’Hitler: il avait des gaz. Wagner de flatulence, il lâcha ainsi, ce jour-là, un pet malodorant, puis un deuxième, et encore un autre, tout en parlant d’un ton dégagé, pendant que ses voisins de table étaient au bord de la suffocation.»

D’accord, c’est tout de même un peu gros. FOG se lâche; par sa plume et pas par son cul. D’accord, je suis un peu grossier aussi. Mais ce n’est pas de ma faute: FOG m’influence. Au moins, on rit d’Hitler. Pas de moquerie gratuite mais compréhension de la douleur interne du personnage qui nous laisse une approche intéressante de son malheur et de sa frustration, mais qui n’explique pas, et n’expliquera jamais, les horreurs commises.

FOG (Franz-Olivier Giesbert), écrivain et journaliste

L’art de l’écrivain-journaliste

Le roman use de légèreté, sans jamais bafouer la dignité de quiconque. Pas d’humour noir détestable. Pas d’humour dans les camps, évidemment. A tel point que l’histoire se refuse à franchir le pas des camps d’extermination. Souci de cohérence. Souci de distinction entre le sacré et le profane. On ne peut pas rire des flatulences d’Hitler et voir ensuite des enfants se faire gazer. FOG est bienséant, prudent. Il sait ce qu’il fait. Il sait comment on parle de certains sujets, ou comment on n’en parle pas du tout.

«Que l’on ne compte pas sur l’auteur pour raconter ici le quotidien des camps de la mort. C’est péché, on ne le dira jamais assez. Maudits soient les faussaires, plagiaires, romanciers sans vergogne, profanateurs de sépultures. Ils salissent tout ce qu’ils disent. Nous renverrons donc aux grands récits de survivants sublimes: La Nuit d’Elie Wiesel, Si c’est un homme de Primo Levi, L’Etat SS d’Eugen Kogon, L’Espèce humaine de Robert Antelme, Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo, L’Univers concentrationnaire de David Rousset, Ravensbrück de Germaine Tillon, La Traversée de la nuit de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Etre sans destin d’Imre Kertész, C’était ça, Dachau de Stanislav Zàmecnik.»

Et voilà tout l’art d’un écrivain-journaliste qui sait placer une belle bibliographie sans qu’elle soit isolée en fin d’ouvrage. Voilà l’anti-académisme qui se déploie en citant des sources par la simple citation des œuvres sans notes de bas de page. Voilà un romancier qui sait raconter l’Histoire dans une histoire, et dans un style entraînant. Il nous parle directement. Il est proche du lecteur. Voilà Franz-Olivier Giesbert, qui commence Le Schmock en folie parce qu’on sait pertinemment qu’il est fidèle à son lecteur, que c’est un bosseur, un brave homme, un bon type, qui parvient encore une fois à introduire de la légèreté, de l’amour et de l’amitié dans un texte dense, fort et tragique.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Loris S. Musumeci pour Le Regard Libre

Franz-Olivier Giesbert
Le Schmock
Editions Gallimard
2019
395 pages

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