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Brel ne nous quittera jamais4 minutes de lecture

par Alexandre Wälti
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Les mercredis du cinéma – Alexandre Wälti

Mardi 9 octobre. Unique date dans les cinémas romands! Sur le grand écran, deux concerts se succèdent: Knokke en 1963 et celui des adieux à l’Olympia en 1966. Entre les deux, trois ans durant lesquels les concerts se sont enchaînés de manière frénétique et, entretemps, les chansons ont grandi. Jacques Brel était trop bon interprète pour qu’un soir ressemble à l’autre, qu’une même chanson reste toujours la même. Compilation d’impressions.

Brel, Brel, Brel, l’envie de chanter intensément ce nom haut et fort! Encore et toujours à tue-tête, avec l’urgence d’inviter tous les lecteurs à découvrir ou réentendre ce puissant homme si fragile. Le désir de le revoir offrir sa poésie et sa présence à une assistance impatiente de voir le mythe en pleine action. Le plaisir d’avoir face à soi l’homme, l’interprète et l’acteur. Un monument dont les textes m’accompagnent depuis bientôt quinze ans. Une bonne raison d’écouter le disque Infiniment en écrivant les impressions qui suivent.

Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d’une possible fièvre
Partir ou personne ne part
Aimer jusqu’à la déchirure
Aimer même trop, même mal
Tenter sans force et sans armure
D’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête

C’est l’ouverture de l’album. Même si ce morceau inédit n’apparaît dans aucun des deux concerts, les paroles font écho à ce que j’ai ressenti durant toute la projection et même après, en rentrant, dans le train, la nuit en dormant et ce matin en me levant. Elles condensent ainsi une partie d’âme de Brel. Celle qui inlassablement a distillé l’amour et la drôlerie partout. Car, oui, je le crois du moins, Brel était ce travailleur acharné qui n’a jamais perdu le soupçon d’enfance qu’il faut pour exister et rire, vivre pleinement ses rêves. Aimer, oui, aimer toujours plus fort ce qui nous entoure et cet artiste dont l’envergure dépasse le simple parolier.

Mais fils de bon fils
Ou fils d’étranger
Tous les enfants
Sont des sorciers
Fils de l’amour
Fils d’amourettes
Tous les enfants
Sont des poètes
Ils sont bergers
Ils sont rois mages
Font des nuages
Pour mieux voler

C’est d’abord avec Fils de… que l’émotion me submerge. Et déjà, oui déjà, des souvenirs pointent leur nez dans ma tête. Tous pareils dans la salle obscure, peut-être. Des rires enfantins volent par-dessus les crêtes du Jura et des images d’embrassades chaleureuses les accompagnent. Une larme veut sortir mais elle devient soudain sourire à la vue des regards et des gestes de Brel à l’écran. Ses yeux, justement, ses yeux noirs qui, lorsqu’il interprète Jef, prennent toute la lumière et semblent apercevoir cet alter ego juste au bout de la scène, le rendant ainsi vivant sous nos yeux.

Non, Jef, t’es pas tout seul
Mais arrête tes grimaces
Soulève tes cent kilos
Fais bouger ta carcasse
Je sais qu’t’as le cœur gros
Mais il faut le soulever, Jef

Ses gestes, eux, amples et brusques, suivent le crescendo du morceau et passent de la tristesse à l’hilarité d’un ivrogne et de son ami en quête de vie et de folie. L’interprétation heurte fort et juste, déclenche mes soupirs et des haut-le-cœur. Je me rappelle surtout que Jef et son ami, je les ai connus, oui, grâce à Brel, à une époque lointaine, heureusement.

Brel est habité lorsqu’il interprète Ces gens-là. Ses mimiques sont diaboliques, changent au gré des émotions qu’il communique. Il habite les personnages qu’il chante, les maltraite aussi, les agresse et les parodie. Ce qui a pour conséquence de faire rire une partie du cinéma.

Et puis, y a l’autre
Des carottes dans les cheveux
Qu’a jamais vu un peigne
Qu’est méchant comme une teigne
Même qu’il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d’une autre ville
Et que c’est pas fini
Qui fait ses p’tites affaires
Avec son p’tit chapeau
Avec son p’tit manteau
Avec sa p’tite auto
Qu’aimerait bien avoir l’air
Mais qui a pas l’air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n’a pas le sou
Faut vous dire, Monsieur
Que chez ces gens-là
On n’vit pas, Monsieur
On n’vit pas, on triche

Ce n’est pas l’unique fois où Brel fait rire, jaune peut-être. L’exemple le plus poignant est naturellement Les bigotes et Les bonbons. Deux morceaux où le sarcasme se mêle à la méchanceté tout en étant tellement beaux et drôles. L’excès brelien apparaît dans les sauts et mimiques qu’il donne à chacune de ses paroles. Bref, c’est Brel tout craché !

Il me resterait encore tant à dire, décrire et écrire au sujet de ce 9 octobre 2018. Mais il faut bien s’arrêter à un moment donné pour éviter d’ennuyer le lecteur et d’aller contre l’urgence si propre à ces deux concerts de Brel. Pourquoi urgence ? Parce qu’il est en fait un punk en costard puisque les titres se sont enchaînés à une vitesse ahurissante et sans aucune de transition. Comme pour préserver l’émotion de l’immédiat. Comme pour rappeler une fois de plus qu’il faut vivre intensément avant que notre heure ne vienne.

Comme conclusion, rien de mieux que ces mots de Brel lui-même, ces mots qui sont extraits d’une interview accordée à la RTS en 1966 et qui répondent à la question du cycle infernal de sa tournée :

C’est pas infernal, ça paraît infernal. Moi, ce que je trouve infernal, c’est le cycle du sédentaire. Le type qui se lève tous les matins, qui se brosse les dents, qui dit “au revoir” à une femme qui l’amène tous les matins, qui part au bureau où il voit les mêmes gars, qui fait le même travail à peu près, qui mange la même chose à midi, qui rentre tous les soirs. Alors que moi, ça change tout le temps.

Ecrire à l’auteur : alexandre.waelti@leregardlibre.com

Crédit photo : © Pathé

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