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«BigBug»: Jeunet court-circuite nos cerveaux6 minutes de lecture

par Jordi Gabioud
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bigbug netflix

Les mercredis du cinéma – Jordi Gabioud

A de nombreuses reprises, Jean-Pierre Jeunet a su susciter l’enthousiasme grâce à son savoir-faire et ses partis-pris radicaux. Ainsi, avec la liberté accordée par Netflix, beaucoup attendaient BigBug comme une replongée tant espérée dans les univers étranges et envoûtants du réalisateur. On espérait peut-être la grande œuvre, le résultat peine même à être un film.

En 2045, les robots et les intelligences artificielles gèrent l’ensemble de la vie humaine dans un monde bouleversé par le changement climatique. A la suite d’un bug, une poignée d’humains se retrouve enfermée dans une maison d’un paisible quartier résidentiel. Ils seront alors aidés par leurs robots domestiques cherchant à devenir eux aussi humains. Ici, la technologie n’est pas au service de la réflexion mais de la farce. Malheureusement, ce trip visuel futuriste a  une dizaine d’années de retard.

Qu’est-ce qu’un film?

Impossible de parler de BigBug sans faire état de l’effet de consternation que le film produit sur son spectateur. Ses partis pris radicaux nous plongent dans une hébétude proche de l’hallucination consciente ou du cauchemar éveillé. Que chercherait-on à produire d’autre, avec ces plans d’acteurs à vingt centimètres de la caméra affichant leur plus large sourire carnassier? Le malaise fonctionne, mais il est étiré sur 1h50 de film, sans arrêt, sans temps mort, sans une once de remords à l’égard de notre santé mentale. Jusqu’au moment où nous nous demandons si ce film est réellement un film.

Tout d’abord, la grande majorité de l’intrigue se déroule dans ce salon où l’on voit les acteurs aligner leurs répliques sur un ton vaudevillesque, parfois plus mécaniques encore que les robots. Les décors aseptisés aux couleurs criardes veulent certes dénoncer le mauvais goût de nos bourgeois, mais nous sont alors imposés durant l’ensemble de l’œuvre. urtout, ils n’ont aucun autre intérêt que leur fonction de décor. Parfois l’on s’assied sur une chaise, parfois on ouvre un livre… Il faut attendre le dernier tiers du film pour enfin voir une courte interaction entre ces éléments de décors et nos acteurs. Même le montage parvient à nous interroger sur la nature de film de BigBug. Le long-métrage ponctue régulièrement ses sketchs par un fondu au noir qui signerait la nature d’un téléfilm du dimanche, si elle n’avait pas été financée par la plateforme Netflix.

Et il y a l’écriture! L’enjeu de sortir de cette maison passe rapidement au second plan lorsqu’on a compris qu’il n’est qu’un prétexte à des séries de sketchs dépassés. Le ton des sketchs est donné dès les premières minutes à base de robot détectant le taux de sincérité d’un compliment ou le pourcentage…. d’une érection. Les personnages, incarnant inlassablement leurs caricatures, parviennent à accomplir le fascinant exploit de ne connaître aucune évolution psychologique tout en opérant des renversements de personnalité ponctuels. Ainsi, le couple divorcé qui ne cesse de se haïr finit sans aucune transition à nouveau ensemble et prêts à rebâtir leur famille! Lunaire!

Il est fascinant de constater que dans sa structure, dans l’enchaînement de ses sketchs, dans l’apparition sporadique de quelques caméos sans intérêts, dans son effroyable problème de rythme et ses allures d’épisode spécial du dimanche, BigBug ressemble beaucoup au légendaire Star Wars: Holiday Special. En beaucoup plus linéaire.

La pleine liberté de l’artiste

La stratégie de Netflix pour attirer ses réalisateurs depuis quelques années a été de leur accorder les pleins pouvoirs sur leurs œuvres. Il est étrange de voir qu’un phantasme longtemps rêvé par les admirateurs de leurs auteurs préférés soit aussi souvent remis en cause par la critique: les retours mitigés sur les derniers films de Spike Lee, des frères Coen ou encore de David Fincher feraient la démonstration de l’importance d’avoir un producteur pour baliser l’oeuvre. Cette démonstration est poussée au paroxysme avec BigBug.

Avec les pleins pouvoirs sur son œuvre, Jean-Pierre Jeunet réalise un film qui ne peut décemment pas plaire au public. Son humour est trop vieux, sa direction artistique trop criarde, son affiche et sa bande-annonce trop malaisantes. Et pourtant, Jeunet lui-même semble heureux du résultat. Ce projet, porté depuis plusieurs années et présenté devant de nombreuses productions qui ont systématiquement rejeté la proposition, existe et se présente comme un véritable ovni hors des rails à tous les niveaux. Le résultat est aussi difficile à regarder et pourtant, il est loin de réhabiliter le rôle du producteur. Au contraire!

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Avec BigBug, Jeunet nous offre un formidable ovni qui explose dès ses premières minutes. Il fourmille d’idées qui ne se marient pas. Il échoue sans jamais s’en rendre compte, tant il semble aveuglé par son propre enthousiasme! Aucun producteur n’aurait pu sauver le film d’un tel déraillement magnifique. Dans une volonté de coller aux attentes de quelques études de marché, le film ne serait devenu que plus insipide. Cet échec éblouissant aurait été simplement terni et pour quel résultat? Non! Nous pouvons encore célébrer la liberté de l’artiste dans la même attitude jusqu’au-boutiste que Jeunet arbore avec son film, car il est si rare de voir encore des films libres de se tromper dans leur perception du public, ou dans leur liberté de simplement l’oublier… BigBug est un des pires films de ces dernières années, mais a cette qualité d’être sincère dans son échec.

Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com

Crédit photo: © Bruno Calvo / Netflix

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