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«Billy Wilder et moi», quand Jonathan Coe écrit sur la caméra5 minutes de lecture

par Lauriane Pipoz
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Les bouquins du mardi – Lauriane Pipoz

Le dernier ouvrage de Jonathan Coe nous parle de cinéma, de nostalgie et de jeunesse. Il nous entraîne dans les souvenirs d’une jeune Grecque présente sur le tournage tumultueux de Fedora, l’avant-dernier film de Billy Wilder. Entre le roman et le biopic, Billy Wilder et moi se détache des autres récits de l’auteur britannique et prouve ainsi qu’il sait toujours se réinventer.

«Ma fille avait raison: les jeunes gens ne remarquent pas les sentiments de leurs parents, ne se rendent même pas compte qu’ils en ont la plupart du temps. Pour tout ce qui touche aux émotions de leurs parents, ce sont de bienheureux sociopathes.»

Jonathan Coe réussit dans son dernier roman la prouesse de lier des thèmes et des époques à travers un seul personnage. Calista Frangopoulos, la cinquantaine, Grecque vivant en Amérique, a deux filles. Tandis que l’une quitte le nid, elle repense soudain au voyage qui l’avait conduite en Amérique lorsqu’elle était jeune. Cette aventure l’avait menée sur le tournage d’un film de Billy Wilder à Corfou, puis à Paris. Mais avant tout, cette parenthèse lui a fait découvrir le cinéma, qui sera une véritable passion: elle deviendra compositrice de musique de film.

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Le cinéma comme inspiration littéraire

Le thème du destin est cher à l’auteur britannique. Mais ce qui marque dans ce récit est plutôt sa maîtrise du mélange des genres littéraires: on se trouve tantôt face à un roman, tantôt face à une sorte de biopic. Différentes facettes du réalisateur de Certains l’aiment chaud sont amenées de façon non-linéaire. Elles se mettent en place devant nous comme un puzzle pour former un tout cohérent, à travers le regard et les discussions tirées des souvenirs de Calista, personnage entièrement fictionnel.

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Mais cette dernière disparaît dans le passage le plus fort du livre, un moment où le récit se mue en scénario. Lorsque nous commençons à entrevoir toute l’ombre présente en Billy Wilder, une partie de son histoire – la plus poignante, liée au nazisme – se déroule sous nos yeux. Paradoxalement, la facette du réalisateur hollywoodien s’efface alors pour nous faire voir un homme issu d’une famille juive autrichienne détruite par le nazisme. La forme du scénario aurait-elle été choisie pour nous rappeler que le cinéaste a été façonné par son histoire et que les deux sont inséparables, ou parce que la littérature n’est pas si différente du cinéma?

Parallèles et mises en abîme 

Ce récit formidablement documenté est rendu captivant par les changements de ton, mais aussi par les sauts dans le temps. Calista fait des parallèles entre la vie de sa fille, sa jeunesse et des échanges qu’elle aurait eus avec Wilder pour aboutir à des réflexions sur la parentalité et le temps qui passe. Ce dernier thème est justement celui de Fedora, qui reflèterait les questionnements de son réalisateur. Les nombreux liens et mises en abîme présents partout dans ce livre peignent un magnifique tableau du cinéma hollywoodien du milieu du XXème siècle, porté par la figure d’un cinéaste vieillissant qui se sait déchu. Dans un premier temps révolté par la modification des goûts du public, il finit peut-être par accepter cette fatalité.

La bande-annonce du film Fedora de Billy Wilder.

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Mais la fin du livre, ouverte, montre une Calista résignée, qui s’engage vers un autre chemin. Les nuances omniprésentes dans le livre – rien ou presque n’est blanc ou noir dans les ouvrages de Coe, on y découvre plutôt des protagonistes qui se démènent au mieux avec leur destin – nous suggèrent de se rappeler que si les choses changent, elles ne sont peut-être pas forcément finies. Voilà encore un éclairage philosophique sur cet ouvrage riche et ce cinéaste qui ne demandait qu’à être mis en lumière.

«Vous ne comprenez toujours pas, dit-il patiemment. Que ça leur ait plu ou non n’est pas la question. Ils auraient pu être les mieux placés au monde pour juger de la qualité d’une histoire, et on aurait pu leur écrire Madame Bovary ou Moby Dick qu’ils n’en auraient rien eu à cirer. Peu importe que ça plaise. Ils ont jeté un seul coup d’œil à Fedora, et ont décidé qu’il n’y avait aucune chance de faire le moindre bénéfice avec ce projet-là.»Je réfléchis à tout cela en buvant un peu de mon cocktail. «Mais ils ont tort», dis-je.»

Ecrire à l’auteure: lauriane.pipoz@leregardlibre.com

Crédit photo: © Wikimedia Commons

Jonathan Coe
Billy Wilder et moi
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
Editions Gallimard
2021
295 pages


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