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«Carnage», quand Polanski dénonçait la bien-pensance4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: Le cinéma de Polanski – Jonas Follonier

Avec Carnage (2011), Polanski sortait un huis clos virtuose, où le jeu théâtral et les proportions que prennent l’histoire venaient porter un coup à la bien-pensance et aux conventions entre voisins et copains, que nous connaissons tous. Un film à voir ou revoir pour passer 79 minutes de tension et de plaisir.

New York, dans un immeuble de la classe moyenne supérieure. Deux enfants se sont battus. Ou plutôt, l’un des deux a frappé l’autre, comme le soulignent cent fois les parents de ce dernier. Ceux-ci invitent les parents de «l’agresseur» pour organiser les excuses et obtenir des informations sur la bagarre et ce qu’ils en pensent. Dès le début, on comprend que l’on a affaire à des personnages-types. Penelope Longstreet (Jodie Foster) est une indignée; Nancy Cowan (Kate Winslet), une hypocrite; Alan Cowan (Christoph Waltz), un arriviste; Michael Longstreet (John C. Reilly), un beauf. Leur nature profondément stéréotypée passe par les dialogues des personnages, mais aussi par leur jeu théâtralisé.

– C’était impressionnant de voir cet enfant qui n’avait plus de visage ni de dents.
– Ah ouais, j’imagine.

Les gestes qui accompagnent les paroles sont en effet très accentués, trop accentués pour être du cinéma. C’est en réalité du théâtre auquel nous avons affaire! Non seulement Carnage est l’adaptation de la pièce Le Dieu du carnage, mais cette reprise cinématographique elle-même est théâtrale, exactement comme Le Prénom d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, chef-d’œuvre du genre, sorti une année plus tard. Avançant à temps réel, le long-métrage qui a d’ailleurs juste la durée qu’il faut nous fait entrer dans cet appartement où nous reconnaissons tant de personnes de nos entourages respectifs, tant de conventions, tant de paroles de rien du tout, à la fois pathétiques et touchantes:

«Ça le rendait dingue le bordel que foutait cette bestiole. Ecoutez, j’ai pas honte de l’avouer, ça faisait longtemps que je voulais m’en débarrasser, alors je me suis dit, je l’embarque avec moi et je l’le laisse dans la rue.»

Cette réplique est celle de Michael, qui malgré sa bonhommie et sa volonté d’arrondir les angles, se trahit par une remarque de ce genre (il parle ici du hamster de sa fille). Les deux femmes ne sont pas en reste. Nancy, à peine après avoir reproché à son mari de trop tenir à ses jouets, fait une crise parce que ses affaires de maquillage ont été renversées par terre; extrêmement maniérée et propre sur elle, elle se saoule et dégueule dans l’appartement de ses voisins. Penelope, elle, extériorise son militantisme altermondialiste et pacificateur sous forme d’agressivité extrême et se comporte comme une véritable cherche-merde. Seul Alan, au final, échappe à l’incohérence, assumant son statut de connard d’avocat cynique dès le début.

Autre thème intéressant, celui de la solidarité entre femmes et de celle entre hommes. Quand les circonstances sont si graves que les antagonismes s’estompent, les femmes se liguent contre les hommes – brave occupation – qui eux se contentent de faire l’éloge d’eux-mêmes: «Tu savais qu’Etan avait une bande? Non! Mais je suis ravi de le découvrir! (Avec sourire béat) Moi aussi j’en avais une, j’étais le leader. – Oui, moi aussi.» Michael descend sa femme qu’il défendait vingt minutes plus tôt, s’avérant être le même qu’Alan: «Vous savez quoi? Toutes ces discussions, toutes ces considérations à la con, j’en ai eu ma dose. On a acheté des tulipes. Vous savez ma femme essaie de me faire passer pour un mec de gauche, mais en fait je n’ai aucune patience pour tous ces trucs cucul-la-praline! Je suis un pur caractériel de base et je vous emmerde, OK?»

C’est l’occasion pour les épouses de partager des considérations sur leurs hommes. «Mon mari a décidé que la vie n’était que médiocrité.» Comme s’il s’agissait de le décider, nous dit le film! Ce que les idéalistes prennent pour des projections est parfois en effet la pure et simple réalité. Le réel est moyen, fade, jamais pur; médiocre. Kundera, le plus philosophe des romanciers, avait très bien expliqué pourquoi il en est ainsi: la vie n’est qu’une répétition générale. Comme on ne vit qu’une fois, on ne pourra jamais voir la vraie pièce de théâtre. Toutes nos actions ne sont que des tâtonnements, dans un lieu où nous sommes enfermés comme dans cet appartement, j’ai nommé la vie sociale. On fait comme on peut, essayant d’en tirer le maximum de plaisir et le minimum d’ennuis. Mais quand le masque tombe, la vérité peut être source d’embrouilles.

«On vient seul au monde, et on meurt seul, alors ça suffit; qui veut un verre de scotch?»

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: © Wild Bunch Distribution

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