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«De la cuisine au parlement» – rétrospective d’un combat actuel7 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Les plateformes ciné du samedi – Malika Brigadoi

Dix ans après la première version de son documentaire, Stéphane Goël revient avec une édition 2021 de son film De la cuisine au parlement. Il y retrace, non seulement, la route sinueuse et encombrée d’obstacles que les Suissesses ont empruntée pour accéder au droit de vote et d’éligibilité, mais il tisse également des liens avec les combats féministes pour l’égalité entre hommes et femmes.

Le documentaire permet de donner une vision globale des luttes féministes en cours. Il montre que de nombreux combats sont menés de front pour l’égalité et qu’ils ont été camouflés par celui conduit pour le droit de vote et d’éligibilité. Ils se réunissent pourtant tous autour d’un élément: une remise en question du système patriarcal. Bien que certaines revendications aient été entendues, comme le droit à l’assurance maternité ou encore le droit de vote et d’éligibilité, d’autres se poursuivent tels que – en fer de lance – l’égalité salariale.

Le film ne se cantonne pas à une traversée de l’histoire politique suisse, mais propose une véritable analyse sociologique et historique de la situation au travers de témoignages et d’images d’archives. Une voix-over, à la fois légère et didactique, sert de liant aux divers formats vidéo montés par Janine Waeber. Elle permet de compléter l’information et de commenter les affiches politiques de l’époque. Au travers de ces multiples formats et témoignages – notamment d’historiennes, politiciennes et sociologues – De la cuisine au parlement propose une analyse engagée de la condition féminine.

Un combat historique, sociologique et politique

D’un point de vue historique, le documentaire replace l’origine de cette séparation entre l’homme et la femme au XIXe siècle. A cette période, tout semble les distinguer. Alors que la femme se trouve dans l’émotionnel, l’homme demeure un être rationnel. Il s’active au travail, au bistrot et en politique; trois lieux publics. La femme, de son côté, s’occupe du foyer, du ménage, des enfants et plus largement de la famille. Cette dernière s’inscrit dans la sphère privée, à qui la société donne moins de valeur qu’à la sphère publique. Un déséquilibre va s’installer au moment où les deux sexes vont évoluer dans chacune des sphères.

Sociologiquement, la femme souffrait – et souffre encore – d’un complexe d’infériorité. Plusieurs témoignages montrent que les femmes – sans savoir l’expliquer – disaient être ou se sentir inférieures à leur mari, notamment parce qu’elles ne pouvaient pas exprimer leur opinion sous prétexte qu’elles n’y connaissaient rien. Aujourd’hui, ce sentiment existe encore pour beaucoup de femmes. A cause de leur oppression intériorisée, les femmes doivent, dans le cadre de leur travail, toujours s’investir davantage que leurs collègues masculins pour se légitimer et être reconnues. Les mentalités prennent du temps à évoluer, autant celle des femmes que celle des hommes.

Enfin, De la cuisine au parlement présente les nombreux chemins empruntés par les femmes pour atteindre leur objectif. Elles ont essayé d’entrer en politique au niveau communal, cantonal et fédéral, participé aux manifestations et brigué des postes divers. La question redondante qui leur était systématiquement posée était la façon dont ces femmes arrivaient à combiner leur vie de famille avec la politique. Cette question n’avait pourtant jamais été effleurée lorsqu’elles avaient pris le pays en main durant la mobilisation des hommes pendant la guerre.

La Suisse, un pays réactionnaire?

La Suisse a été l’un des derniers pays européens à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux femmes. En effet, celles-ci n’y ont accès qu’en 1971. Cependant, le documentaire ne manque pas de rappeler que, si les pays alentours étaient dotés d’un système politique similaire à celui de la Suisse, il n’est pas certain que les femmes de ces pays aient obtenu le droit de vote si rapidement. La démocratie directe suisse témoigne du conservatisme de ses citoyens. D’ailleurs, dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, les femmes resteront, jusqu’en 1991, à l’écart de la politique communale et cantonale.

De la cuisine au parlement, attire l’attention de son spectateur sur l’archaïsme et la ringardise dont l’Helvétie fait preuve aujourd’hui encore. La lenteur que permet la démocratie directe suisse était déjà dénoncée par les femmes qui défilaient devant la Place fédérale avec un gigantesque escargot. Cette léthargie reste une constante dans les réformes sociales, comme la place de la femme au sein de la famille. De plus, bien que l’égalité salariale soit inscrite dans la loi, elle n’est toujours pas respectée. De nombreux dossiers sociétaux restent en suspens, et la Suisse peine à s’y atteler.

Voix féminines et regards masculins

Bien que quelques hommes donnent leur avis au travers des images d’archives, dans les interviews «actuelles», De la cuisine au parlement a pris le parti de ne donner la parole qu’aux femmes. Face caméra, détachées d’un fond noir, des politiciennes, des sociologues et des historiennes témoignent de leur vécu et – avec un certain recul – de leur analyse. Tandis qu’Elisabeth Kopp se remémore les raisons qui l’ont poussée à démissionner du Conseil fédéral en 1989, Ruth Dreifuss évoque son élection au Conseil fédéral en 1993. Marina Carobbio Guscetti raconte comment elle a stoppé une séance du Conseil national pour rejoindre la marche de la Grève des femmes du 14 juin 2019. Tamara Funiciello, de son côté, partage ses opinions et défend le féminisme d’aujourd’hui.

Malgré toutes ces voix féminines, le documentaire pose un regard d’homme sur la situation, celui de son réalisateur Stéphane Goël. En effet, le commentaire qui accompagne les images est incarné à la fois par sa pensée et par sa voix, celles d’un homme qui veut dénoncer ces situations et participer à la remise en question du système patriarcal. De cette façon, De la cuisine au parlement rappelle que ce combat n’appartient pas uniquement aux femmes, mais que ces dernières peuvent être soutenues.

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Stéphane Goël s’attaque, avec pédagogie et intelligence, à une page importante de l’histoire, non seulement suisse, mais aussi mondiale. Au travers des multiples témoignages et images d’archives, il offre une vision globale de diverses luttes et tisse des liens entre le droit de vote et d’éligibilité des femmes et les mouvements féministes. De cette manière, De la cuisine au parlement permet de mieux comprendre les luttes actuelles, pour quelqu’un qui ne s’intéresse que de loin aux combats féministes. Peut-être saura-t-il convaincre ceux qui sont profondément contre ce mouvement de faire un pas vers lui et de tendre une oreille attentive.

Ecrire à l’auteure: malika.brigadoi@leregardlibre.com

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