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De la nuance et de l’histoire avec «Les Derniers Tsars»5 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Le Netflix & chill du samedi – Loris S. Musumeci

Netflix multiplie les documentaires et les séries historiques. Qualité et pertinence ne sont pas toujours au rendez-vous. Malgré tout, la plateforme a le mérite de susciter systématiquement la curiosité, quitte à ce que la bande-annonce promette bien plus que le film ou la série ne vaut réellement. Ainsi va la vie, ainsi va la pub. En tout cas, Netflix parvient à donner à son public le goût pour l’histoire. Comme avec Les Derniers Tsars, qui met d’emblée l’eau à la bouche: on sent que la réalisation ne se limitera pas à compte rendu politique. L’histoire se raconte aussi à travers les passions humaines, les aspirations de personnages ambitieux, les coups de grâce du destins et ses coups durs. Mission accomplie!

Nuance par les défauts

Le format de cette série en six épisodes surprend au début. Il déçoit même. On s’attend à une histoire romancée qui raconte tout en drame la chute mortelle des Romanov, la chute de l’Empire de Russie. On est servi, à ceci près que le format oscille entre la fiction et le documentaire. Les interventions d’historiens sont mineures par rapport au déroulement en fiction; leurs informations permettent une pause de réflexion au sein des épisodes. L’histoire avance et la partie documentaire amène à une mise au point qui fournit la nuance que demande la complexité du règne de Nicolas II. Il n’en reste pas moins que ces interventions, aussi précieuses soient-elles, coupent le rythme du téléfilm. Le scénario aurait eu avantage à intégrer ces points de nuance nécessaires directement dans la fiction.

Ce défaut fait la pauvreté de la série, ainsi que les imprécisions historiques recensées par des spécialistes. Dommage également que seuls des historiens d’universités anglo-saxonnes prennent la parole: donner la parole aux principaux concernés, à savoir les historiens russes, n’aurait pas été superflu. On se serait attendu de leur part à un discours peut-être plus idéologique, moins objectif; je crois que c’eût été les sous-estimer, voire les mépriser. La photographie fait également partie du côté moins réussi de la série: très inégale, elle alterne des plans très travaillés et esthétiques à des scènes entières totalement plates au niveau de la forme. On va dans la facilité en créant le contraste entre le style très léché qui montre la cour des Romanov et le style rugueux lorsqu’il s’agit de mettre en scène le peuple. La série compte son lot de laideurs.

Nuance par le traitement de l’histoire

Mais elle ne saurait s’y limiter. S’il y a pauvreté dans certains aspects de la réalisation, Les Derniers Tsars ne manque pas de richesse non plus. Principalement dans la construction psychologique des personnages et dans la subtilité de traitement de cet épisode crucial pour l’histoire de Russie. Non, les Romanov ne sont pas les horribles bourreaux du peuple, insensibles et cruels, éliminés par de braves révolutionnaires soucieux de l’égalité et de la justice. Non, les Romanov ne sont pas les pauvres victimes innocentes d’un peuple devenu fou à cause de la propagande de quelques hurluberlus qui ne supportaient pas la noblesse.

Ce qui permet la nuance, c’est la concentration du récit de 1894 à 1918, donc de l’accession au trône de Nicolas II, dernier empereur de Russie, à l’assassinat du tsar, de son épouse la tsarine et de ses cinq enfants – ou quatre, selon la légende d’une Anastasia qui aurait survécu… –, neuf mois après la Révolution d’Octobre. On retrouve à travers ces années un jeune tsar rempli de bonne volonté et de respect sa tradition familiale. Un jeune tsar très amoureux de la jeune beauté à laquelle il est promis: la princesse Alix de Hesse-Darmstadt, qui devient sous les épousailles l’impératrice Alexandra Fedorovna Romanova.

Principale conseillère de son mari, l’impératrice ne doit pas être tenue pour responsable de la chute des Romanov, mais presque. Elle obsède le tsar de sa propre obsession: la maladie d’hémophilie de leur seul fils, qui peut compromettre la succession. Au fils malade, il faut un guérisseur: miracle du ciel, ou malédiction, le moine Raspoutine entre en scène. Il n’est de loin pas qu’un guérisseur. Il veut mener sa propre politique. Alexandra boit les paroles de Raspoutine, son messie à elle, son maître; elle transmet les recommandations – désastreuses! – de Raspoutine au tsar, qui lui boit les paroles de sa femme à laquelle il est visiblement soumis. La politique et l’amour ne font pas bon ménage. La succession de mauvaises décisions politiques, auxquelles s’opposent les conseillers officiels du pouvoir, rendent le tsar nerveux, cruel, dépassé et même franchement idiot lorsqu’il engage son Empire dans une guerre suicidaire.

Nuance par les personnages

Raspoutine est montré sous des traits un peu forcés, mais la place qu’il occupe dans la série rend de manière excellente la mécanique infernale qui s’active dans la famille Romanov. Alexandra, toujours sublime, se révèle sous ses deux facettes: la mère tendre et soucieuse, l’épouse dévouée mais dominatrice et la femme politique arrogante bien que totalement manipulée. Nicolas II reste le personnage le plus complexe: du jeune amoureux, il devient l’empereur bienveillant envers son peuple mais maladroit, pour devenir ensuite aigre et compulsif et finir tout en humilité, tout en piété durant ses derniers mois de vie, alors qu’il est prisonnier dans une demeure protégée avec sa famille depuis son abdication.

Les portraits des cinq enfants Romanov se passent de détails, à raison. Lors de l’assassinat collectif, l’aînée, Olga, a vingt-deux ans, et le cadet, Alexis, treize ans. Si jeunes, sans avoir connu le pouvoir, ils ne peuvent être accusés de rien. Ils apparaissent donc en charmants jeunes gens, à l’éducation parfaite, qui savent aussi rire et s’amuser. A peine commencent-ils à découvrir le monde et ses plaisirs – notamment pour Maria qui s’énamoure d’un garde dans la résidence surveillée – qu’ils sont sauvagement assassinés. Si le peuple a été victime de la politique déraisonnée du tsar, les enfants Romanov ont été les premières et les plus innocentes victimes d’un certain Lénine qui a ordonné leur mort. Quand une politique s’ouvre sur l’assassinat de cinq adolescents, elle n’annonce en principe rien de bon.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédits photos: © Netflix

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