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Diagnostic? L’amour, pour une durée indéterminée6 minutes de lecture

par Alice Bruxelle
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Les mercredis du cinéma – Alice Bruxelle

Sylvia Plath; une neurochirurgienne qui perd l’esprit; les rues anachroniques de Budapest: trio gagnant? C’est le pari de Lili Horvát dans Preparations to Be Together for an Unknown Period of Time. Sélectionné – mais non nominé – comme long-métrage hongrois pour les Oscars, le film se défend quand même remarquablement grâce à sa réalisation hautement esthétique. 

Mais qui est cette cinéaste hongroise nommée Lili Horvát? Déjà remarquée en festivals par son premier long-métrage The Wednesday Child (2015), elle récidive avec un second: Preparations to Be Together for an Unknown Period of Time. Egalement apparue brièvement en tant qu’actrice dans White God (2014) de Kornél Mundruczó vainqueur dans la section cannoise «Un certain regard», cette jeune cinéaste a tout le bagage nécessaire pour faire partie de la nouvelle génération talentueuse de cinéastes hongrois. Preparations to Be Together for an Unknown Period of Time, titre poétique s’il en est,en est la preuve.

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L’amour frôle-t-il les frontières de la folie? La folie est-elle en fait l’amour? George Sand tranchait la question dans son roman Antonia en 1862: «L’amour est une folie; mais, quand elle est incurable, il faut céder, et je cède». Plus de cent-cinquante plus tard, ces questionnements n’ont rien perdu de leur force artistique. Ce no man’s land, entre amour et folie, que Lili Horvát met en scène dans son dernier film.

Une confusion bienvenue

Après une citation d’un verset du poème Mad Girl’s Love Song de Sylvia Plath, nous découvrons Márta, quadragénaire hongroise devenue neurochirurgienne aux Etats-Unis. «Je ne sais pas si vous pouvez appeler ça de l’amour, mais je vais bientôt avoir quarante ans et je n’ai jamais ressenti quelque chose comme cela avant» seront les premières phrases de Márta. Son cœur a percuté celui d’un homme, János (Viktor Bodó) également neurochirurgien, rencontré aux Etats-Unis. 

Ces derniers ne se sont rien échangés, sauf un rendez-vous à Budapest quelques temps plus tard sur le côté oriental du pont de la Liberté à 17 heures tapantes. Márta s’y rend. Il n’y a personne. Elle le croise à l’hôpital universitaire où il travaille désormais, mais il ne la reconnaît pas. A partir de là, la réalité de Márta se dissout. Son esprit a-t-il tout inventé? Est-elle devenue folle?

Commence alors un basculement psychique où fantasmes, désir et voyeurisme sèment le trouble dans la vie bien rangée de cette femme dont la personnalité se centre uniquement sur l’obsession de cet homme. Horvát balade le spectateur avec un plaisir non dissimulé en jetant des indices contradictoires qui rendent la construction de la vérité savoureusement difficile, voire impossible. Tantôt Márta aperçoit János au détour d’une rue, tantôt il s’agit en fait d’une hallucination, tantôt croit-on qu’ils se rencontrent dans son appartement, tantôt elle se réveille confuse le lendemain sans preuve apparente de sa venue. 

C’est dans ce dialogue tortueux, entre vérité et fantasmes, qu’Horvát tente de développer avec son spectateur. Ce mélange de vrai et de faux ne repose pas uniquement sur la narration, mais par des procédés artistiques, notamment le choix de tourner dans le format 35 mm. Outre sa qualité esthétique rappelant les premiers temps du cinéma,  l’imperfection des images rendue par la pellicule argentique déploie une atmosphère bardée de mystère, de secret et d’incertitude qui appellent l’imagination pour combler cette absence de netteté. L’imagination sans cesse piquée au vif de l’amoureuse torturée, en somme, qui est tiraillée entre deux extrêmes psychologiques: l’espoir et le désespoir. Cette tension psychologique, la cinéaste s’amuse à ne jamais la soulager, notamment par un jeu de lumière savamment maîtrisé où le duo ombres et lumières projette sur Márta ces deux réalités bipolaires.

La musique comme fil invisible?

La cinéaste a fait appel à un compositeur hongrois, Gábor Keresztes, pour créer la musique originale du film sobre et sans envahir la puissance artistique de la photographie. Quelques notes de piano subtiles et discrètes s’entrelacent avec les tentatives de Márta de se rapprocher de János. Outre la bande originale, la musique diégétique forme le cordon invisible qui relie les deux protagonistes entre eux. C’est par ce médium que les deux personnages se rapprocheront. On entendra les quelques notes de Lettre à Elise de Beethoven à deux reprises comme musique d’attente téléphonique lorsque Márta tentera de joindre János, ou le premier lied du cycle Winterreise de Schubert sortant d’un tourne-disque assis côte à côte lors de leur première réelle rencontre.

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On retrouve ce procédé dans la filmographie de Krzysztof Kieślowski, dont Horvát ne cache pas son admiration dans ses entretiens. La musique, élément central du réalisateur polonais grâce à sa collaboration avec le compositeur Zbigniew Preisner, est un lien invisible reliant les personnages solitaires du cinéma de Kieślowski, notamment dans Bleu (1993) où la porosité entre musique diégétique et extra-diégétique est une des caractéristiques exceptionnelles. 

Mais Kieślowski n’est pas le seul clin d’œil. Márta n’est pas sans rappeler le personnage d’Adèle dans L’Histoire d’Adèle H. (1975) de François Truffaut dans son désespoir intense et son obsession de se voir un jour mariée à Albert Pinson. Mais également des références plus subtiles à de grandes réalisatrices (ou peut-être je le fantasme moi aussi). Le prénom Márta pour la pionnière féminine du cinéma hongrois Márta Mészáros. Et pourquoi ne pas voir dans la citation de Sylvia Plath en préambule une accolade amicale à Letters Home (1986) de Chantal Akerman? Deux réalisatrices dont Horvát ne cache pas non plus l’admiration. 

Bien plus qu’une histoire entre deux êtres percutés par la force de l’amour, Preparations to Be Together for an Unknown Period of Time est d’abord une déclaration d’amour au cinéma tout court. Soyons ensemble pour une période indéterminée avec Lili Horvát et son public, oui, et espérons qu’elle dure. 

Ecrire à l’auteure: alice.bruxelle@leregardlibre.com

Crédits photos: © trigon-film.org

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