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«Hotel Jugoslavija»: un regard sur la Yougoslavie et sa nudité3 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci

« Il y a la grande Histoire, celle qui dirige ; et il y a la petite Histoire, celle qui subit, celle des gens. »

Nicolas Wagnières traite d’un bâtiment de la grande Histoire, l’Hotel Jugoslavija à Belgrade. Le film est pourtant de l’ordre de la petite Histoire. Ce documentaire n’a en effet rien d’un article encyclopédique qui voudrait se consacrer à la connaissance de l’édifice lui donnant son titre. Le réalisateur livre un regard personnel de la Yougoslavie et de l’hôtel qui le hante, si symbolique à ses yeux d’un temps révolu. Il présente à l’écran également l’Histoire « des gens », ceux qui ont cru en la fédération yougoslave, qui ont porté dans leur cœur l’Hotel Jugoslavija, mais qui ont subi aussi la mort d’une nation et qui la voient aujourd’hui nue et détruite.

Le documentaire se garde cependant de tout jugement ; il constate. Il s’émeut. Il passe du passé au présent, pour revenir au passé et se tourner à nouveau face au présent. Ce n’était pas forcément mieux avant ; ce n’est en tout cas pas mieux aujourd’hui. Et qu’en sera-t-il de demain ? Silence. L’Hotel Jugoslavija a été construit dans les années soixante à la gloire de l’Etat. Il a accueilli des personnalités les plus célèbres. Il était l’objet principal de la propagande d’une Yougoslavie moderne et progressiste, libre et grande. Mais la fédération s’est écroulée et le glorieux hôtel a été bombardé en 1999.

En grande partie sous les décombres, il a suscité tantôt l’espoir d’une reconstruction parallèle à celle de la Serbie, tantôt le désespoir de voir un bâtiment à l’abandon malgré les projets et les investissements. Ces sentiment contraires se retrouvent dans les images de Nicolas Wagnières. Les images de l’époque sont certes en noir et blanc ou maladroitement colorées, mais elles sont toutes fringantes et pleines de vie. Celles d’aujourd’hui sont d’un numérique limpide pour montrer à travers des plans fixes une fontaine vide, une feuille morte, des graffitis et du béton cassé.

Hotel Jugoslavija 2 - © C-Side Productions

Le socialisme sous le maréchal Tito avait ses défauts, néanmoins il unissait un peuple et le rendait fier même de ce à quoi il n’avait pas directement accès, comme le luxueux hôtel. Les témoignages filmés d’anciens employés et directeurs le confirment. Le spectateur écoute ainsi, étonné mais attentif, comment le Jugoslavija était une maison pour ceux qui y travaillaient, même les plus modestes. Chacun était fier de dire qu’il était membre de l’équipe, comme s’il s’agissait d’une famille de renom. Et les Yougoslaves qui n’avaient vu le bâtiment qu’en carte postale partageaient cette joie de considérer ce dernier comme l’œuvre des camarades ouvriers, l’œuvre d’une nation unie, fraternelle et collective.

Outre les témoignages, le réalisateur prend la parole en une voix-off très écrite et pensive, qui pourrait presque être matière à roman. Sans doute par pudeur, il laisse aux anciens employés le monopole des souvenirs et réflexions sur le mythique hôtel. Nicolas Wagnières dévoile par la voix off ponctuées aux touches du piano son rapport à la Yougoslavie, qu’il n’a jamais vraiment connue si ce n’est par sa mère et ses voyages sur le tard. Il aime ce pays ; le Jugoslavija le fascine et le désole, il en va de même pour la politique socialiste. Assurément, ses commentaires s’inscrivent dans une démarche artistique fortement appuyée par des travellings en trajectoire latérale dans les salles belles et luxueuses. Le grain de l’image donne à la photographie un charme incontestable qui laisse apparaître une nostalgie évidente de l’hôtel à sa grande époque.

Le documentaire, bien que relativement court – 78 minutes –, réussit à séduire. Il provoque par la même un intérêt pour ce que fut la Yougoslavie. Les deux éléments qui demeurent toutefois les plus marquants sont sans aucun doute la délicatesse de la voix off et la profondeur originale de ses propos ainsi que les prises de vue talentueusement maniées. S’il y avait tout de même un reproche à adresser au réalisateur, ce serait celui de ne pas assez revenir sur le présent, en décalage viscéral vis-à-vis du passé . Et pourtant le présent n’a pas grand-chose à dire de lui, si ce n’est qu’il est resté nu. A quand le retour du Jugoslavija ? A quand une Serbie revêtue d’idéaux et de modernité ? Peut-être un jour, en attendant le deuil a encore cours.

« Unité, fraternité, collectif, autogestion, non-alignés. »

Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo : © C-Side Productions

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