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«La French», un film en bang bang6 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: Les gangsters au cinéma – Loris S. Musumeci

«En prononçant ces mots, j’ai une pensée bien sûr pour mon ami Pierre Michel. Ce juge intrépide qui a donné sa vie pour mettre un terme à l’existence de la French Connection. Sa mort est une grande perte pour la France. Il faut que justice soit faite.»

Le juge Pierre Michel a été assassiné le 21 octobre 1981, boulevard Michelet, dans le huitième arrondissement de Marseille. Trois balles de 9 mm. Mort instantanée. Il rentrait chez lui à bord de sa moto pour déjeuner avec sa famille. Deux motards l’ont suivi, et ont cueilli, à l’instant précis, l’occasion de lui tirer dessus. Il ne pouvait en être autrement. Le meurtre a été commandité par les hautes instances de la French Connection, au moment où elle est en plus grande difficulté, au moment où elle s’apprête à disparaître sous les arrestations. C’est Pierre Michel qui l’a attaquée durant près de sept ans. Elle le lieu lui a bien rendu. Mais le combat du juge a porté ses fruits. Et si le juge n’a pas gagné la guerre, il a remporté une bataille, au prix de sa vie. La French (2014) de Cédric Jimenez s’inspire librement de ces faits réels.

La mafia

Une biographie romancée. Même si cette figure du combat contre le grand banditisme que fut et que demeure Pierre Michel était loin de quitter les mémoires et les hommages, le film l’a remise en lumière. A travers des éléments de fiction, dans un cinéma grand public, La French nous montre ce qu’est un vrai héros, dans un contexte où les criminels font la loi. A l’instar de la figure du juge Falcone, tué par la mafia en Italie, celle du juge Michel donne un espoir nécessaire à la lutte contre le crime, à la lutte contre des hommes qui se prétendent d’honneur, alors qu’ils ne sont les auteurs d’aucun honneur, d’aucun mérite, d’aucune force, mais des larmes de victimes plus vulnérables, de la mort d’honnêtes gens.

Rien que pour cela, La French en vaut la peine. Parce que la mafia et autres clans mesquins agissent toujours, à Marseille, en France, en Italie, partout en Europe sous des modalités diverses, dans le monde toujours plus violemment. Sans parler de la drogue. Nous ne sommes plus dans les seventies héroïnées, il n’empêche que la jeunesse, et pas seulement, sombre encore dans la misère des drogues qui avilissent, abrutissent, appauvrissent, aliènent, jusqu’à tuer. Comme pour tous les autres marchés clandestins, il y a des responsables. Et ceux qui les combattent en paient le prix fort.

Le journaliste napolitain, Roberto Saviano, est condamné à mort par la camorra (mafia napolitaine) depuis 2006, lors de la sortie de son ouvrage à succès Gomorra. Il y détruit le mythe qui voit les mafieux comme de grands seigneurs; en disant explicitement au monde entier la vérité sur ces bouffons violents, il ne s’est pas que fait des amis. L’allusion en vaut la peine, justement parce que, dans le film, Pierre Michel dit souvent n’avoir aucun respect pour les criminels, des pauvres types qui font de gros dégâts. Il le dit même à la gueule de Zampa, son ennemi, boss de la French.

Le film parle donc de la mafia à Marseille, du juge Michel, des policiers et politiques soit vraiment valeureux soit vraiment corrompus, mais il parle aussi d’une époque. Fin soixante-dix, début quatre-vingt. Et au-delà du travail de mémoire, de l’appel au courage contre le crime, des sensations comme il sied aux films policier, La French est avant tout un charme de long-métrage par son ambiance, par son époque.

Dans les seventies

Voitures, motos, routes sur la côte, lunettes de soleil, mais aussi l’élégance. Costumes et cravates plus classiques, jaquettes en jean ou blousons de cuir plus détendus. Et mocassins, toujours bien cirés, évidemment. Et la cigarette au bec. Et le bistrot du sud avec un petit express’. Et les téléphones inondant les bureaux, et la machine à écrire dont les touches claquent et reclaquent.

Au niveau du décor, il y a le palais de justice, avec ses grandes allées, ses bureaux sombres où l’on fume comme pour donner des nuances de fumée à l’atmosphère. Toujours au niveau du décor, l’intérieur des appartements avec du papier peint beige à fleurs, ou alors du mobilier très laqué, très coloré, très fantaisiste dans un style Pop art. Et les lieux de fêtes, sous les lumières criardes de discos folles du début quatre-vingt, dont le Krypton, présent dans le film, et qui a réellement été fondé en 1980 par Zampa.

Zampa, interprété trop sévèrement par un Gilles Lellouche qui ne démérite pas toutefois. Un Gilles Lellouche qui incarne l’ennemi du personnage du juge Michel, interprété par Jean Dujardin. Les deux acteurs se ressemblent physiquement. Dans le film, les deux personnages se voient en complémentarité plus qu’en totale opposition. Et ce qui fait la grande force de la mise en scène, au-delà de quelques défauts évidents, c’est que l’affrontement entre le juge et le boss se dessine dans cette ambiance toute particulière des années soixante-dix. Avec leurs coups respectifs, leurs regards, leurs convictions, leurs tenues, leurs rôles de leaders têtus et respectés, ils participent à créer l’ambiance, en sus du décor et de tous les éléments typiques de l’époque.

Jean Dujardin en Pierre Michel et Gilles Lellouche en Zampa © Gaumont

Bang bang

Alors qu’ils ne s’affrontent dans un face-à-face plus viril que s’ils s’étaient poignardés seulement dans une seule séquence, les deux personnages sont liés, parce que l’un et l’autre subissent leurs coups respectifs sans pour autant apparaître dans la même scène. Mais ils sont également liés par la musique. Elément assez étonnant, et pour le coup vraiment original, qui fait qu’à plusieurs reprises les chansons – très seventies, qui contribuent donc fortement à la création de l’ambiance – traversent les scènes pour rejoindre le camp opposé: le camp Michel, le camp Zampa. Michel et Zampa partagent la bande sonore avec le mélancolique This Bitter Earth de Dinah Washington, le festif C’est comme ça que je t’aime chanté par Mike Brant, Call Me de Blondie ou Bang Bang interprété par Sheila.

Bang bang, et Zampa, foutu, pleure dans les bras de sa femme. Bang bang, et Michel, embrassant ses filles, est condamné à mourir. Bang bang, telle est l’histoire de la French Connection. Bang bang, le juge et le boss s’affrontent. Bang bang, on a tiré sur le juge. Bang bang, que justice soit faite. Bang bang, mais où est la justice? Bang bang, quand la corruption frappe encore. Bang bang, quand le sang des juges coule encore. Bang bang, quand la pègre s’enrichit sur le dos de la misère humaine. Bang bang, quand La French reste d’actualité. Bang bang.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Gaumont

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