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«La Mission»: un western propret6 minutes de lecture

par Alice Bruxelle
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Les plateformes ciné du samedi – Alice Bruxelle

La Mission, sorti le 10 février dernier sur la plateforme Netflix, est le premier essai de Paul Greengrass au genre du western. Le résultat est très mitigé. Alors qu’il se pare d’airs faussement humanistes, le long-métrage se caractérise plus par un manichéisme aux relents simplistes. Tom Hanks peine à le sauver.

1870, Texas. Le capitaine Kidd (Tom Hanks), lecteur de nouvelles journalistiques, rencontre par hasard une fillette (Helena Zengel) rescapée d’une tuerie et fraîchement orpheline. Décidant de la ramener dans son village d’origine, ils doivent parcourir 600 kilomètres à cheval. Adaptation du roman éponyme de Paulette Jiles, La Mission laisse un vide que même les longs travellings sur les plaines du Texas ne parviennent pas à combler.

Tom Hanks, figure biblique

Comment ne pas faire une analogie aux versets de L’Evangile selon Matthieu lorsque l’on s’attarde un instant sur le titre, La Mission. Lorsque Jésus envoie les onze apôtres accomplir la Grande Mission, il leur enjoint de faire «de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit» (Mt 28, 19). Le problème étant que Jésus est parvenu à convertir des millions de fidèles; Paul Greengrass, lui, convertit le spectateur à l’ennui. Et pour cause: La Mission a transformé l’acteur de Forrest Gump (1994) en un apôtre décati propageant les nouvelles des journaux à une population sudiste et illettrée (notez tout de même qu’il s’agit presque d’un pléonasme) cinq ans après la fin de la Guerre de Sécession. Sur un fond de tensions sociales et raciales, il se veut l’unificateur des différends, celui qui rend disciple sa nation.

Dépossédé de son charisme, Tom Hanks incarne le sauveur de la petite sauvageonne à défaut de pouvoir sauver le film. Semblant ne pas y croire non plus, il offre un jeu d’acteur convenu échouant lamentablement à nous décrocher un semblant d’émotion. Mais son personnage est pétri de références bibliques qui lui confèrent cet air séraphique. Le capitaine Kidd, blessé de guerre, charrie un passé que l’on devine torturé, mais dont on ne saura jamais rien. Reconverti en lecteur public de journaux pour des raisons inconnues – sauf peut-être suite à son foudroiement par la Révélation –, il sillonne les villages boueux du Texas pour apporter la Bonne Nouvelle aux petites gens qui lui donnent tout de même une piécette en guise d’aumône. Et par un habile jeu de lumière, le capitaine n’est jamais dans l’ombre, le visage toujours éclairé. De plus, la prise sous son aile de l’enfant sauvage qu’il essaye d’éduquer ne fait que contribuer à son côté messianique. Volonté consciente ou non du réalisateur britannique, le film en ressort stéréotypé, surtout à cause de la morale qui en découle.

Un message qui rate sa cible

Si la figure du rapporteur des nouvelles du monde aurait pu être un prisme intéressant à explorer dans un western, La Mission échoue à l’exploiter correctement à cause du caractère moral de cette mission dont est chargé le capitaine Kidd. Jamais nommée, la mission renferme une ambiguïté sur sa finalité: doit-il ramener la jeune fille saine et sauve ou illuminer les quelques bouseux sudistes encore rattachés aux traditions rétrogrades en les arrosant par de mielleuses banalités sur la souffrance et la liberté? C’est justement lorsqu’un film se pourvoit d’une «mission» qu’il se jette de lui-même dans la fosse aux lions. Ce long-métrage ne déroge pas à la règle: tout effet de spontanéité et de surprise s’effondre. S’ensuit alors un scénario simpliste dont le dénouement se devine après les neuf premières minutes du film. Toute effusion de sang est atténuée dans le cas où notre sensibilité serait trop à fleur de peau. Les personnages ne sont pas en reste: ils agissent exactement comme ce que l’on attend d’eux: les gentils sont gentils et les méchants, en plus d’être vilains, sont méchants. Des retournements de situation se produisent parfois tellement déroutants que c’en est presque comique.

Un «western» qui fait du mal à ses prédécesseurs, en somme. Parmi eux, Impitoyable (1992) dévoile un Clint Eastwood qui fait preuve d’une ambiguïté morale plus réaliste et paradoxalement, plus rassurante aussi de savoir que les salauds se confondent parfois en gentils. Ou plus récemment, avec Django Unchained (2012) où Jamie Foxx, fraîchement affranchi de sa condition d’esclave, en vient à se venger avec un peu trop de zèle, venant même à tuer des hommes l’ayant libéré. Si La Mission s’était affranchie de son carcan moral, peut-être aurions-nous eu le droit à un film intéressant. Et nuancé.

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Le parallèle entre ce film et la situation politique américaine tout juste sortie de l’ère trumpienne est criant:le capitaine Kidd ou le pourfendeur des fakes news éduquant le public républicain. Sans être un pamphlet démocrate, le message que partage Paul Greengrass à travers sa réalisation est somme toute juste, mais la forme avec laquelle il le met en scène reste maladroite. Si les questions raciales continuent d’être des sujets d’actualité fiévreux et polarisants, excommunier une partie de la population américaine en la représentant par une caricature grotesque ne fait qu’alimenter cette polarisation. Combattre le feu par le feu n’a jamais été une bonne idée.

Ecrire à l’auteure: alice.bruxelle@leregardlibre.com

Crédits photos: © Bruce W. Talamon Universal Pictures

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