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«Les deux Papes»: tout est dans le dialogue5 minutes de lecture

par Lauriane Pipoz
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Le Netflix & chill du samedi – Lauriane Pipoz

Les deux Papes est un film qui se dit «inspiré de faits réels». L’idée centrale est bien basée sur la confrontation entre le pape Benoît XVI et le futur pape François. Mais il ne faut pas s’y méprendre: à partir de ces faits, le scénario est romancé. Si on considère ce film comme un conte, laissez-moi vous dire pourquoi il devient une époustouflante réussite.

En 2005, le scrutin pour l’élection du nouveau pape montre une division entre les cardinaux très conservateurs et les électeurs plus progressistes. Benoît XVI (Anthony Hopkins), aux idées plus traditionnelles, est finalement élu. Plusieurs années plus tard, suite à un scandale, il étudie l’option de renoncer. Un face-à-face bouleversant avec le cardinal Jorge Bergoglio (Jonathan Pryce), le représentant des forces plus progressistes, va le conforter dans cette idée.

Trois niveaux de compréhension

Ce résumé est la trame principale du film. Mais il faut considérer qu’il ne s’agit que d’un niveau du film pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Un niveau, parmi trois. Le premier est un conte à propos des coulisses du Vatican. Pour qu’il soit crédible, il se base sur une part de vérité: il se déroule en partie dans la chapelle Sixtine et nous montre le processus d’élection du souverain pontife. Mais ensuite, pour susciter l’émotion, il doit bien sûr s’en éloigner.

 C’est pour cette raison que les «deux papes» sont stéréotypés. Le pape Benoît XVI est excessivement fermé d’esprit et avide de marquer sa différence avec son ancien rival.  «Je ne suis d’accord avec rien de ce que vous dites», martelle-t-il au début du film. A l’inverse, plus le film avance, plus il se rapproche sinon des avis du cardinal Bergoglio, mais de sa manière de les amener. En bon catholique conservateur allemand, il finit par accepter l’humour. Et même à y prendre goût. Ce pape représentant l’élite adopte de plus en plus des attitudes populaires, pour finir par apprécier le sport à la télé.

Mais il vaut quand même la peine de nuancer. Oui, des oppositions manichéennes sont visibles. Notamment l’opposition entre l’intellectuel et l’homme du peuple qui est souvent soulignée. Mais quelques éléments me permettent de dire qu’elle ne l’est pas autant que certains critiques l’ont avancé. Parmi d’autres exemples, Benoît XVI apprécie de manger devant la télé un repas avec sa bouteille de Fanta. Bien sûr, je ne nie pas que ce soit compatible avec une attitude intellectuelle; les élites apprécient certainement aussi ce genre de plaisirs. Mais ce qui me fait dire qu’il s’agit d’un plaisir coupable est sa mise en scène: on le voit passer un bon moment à travers une lourde porte entrebâillée. Veut-on nous dire que le pape n’est pas aussi élitiste qu’il veut le bien montrer?

Des dialogues grandioses

Le deuxième niveau de compréhension fait de ce film un véritable chef-d’œuvre: ses dialogues, portés par deux très grands acteurs. Ces joutes verbales constituent le véritable élément central – et principal intérêt – du film. Drôles, intelligents, intéressants, ils reflètent parfaitement le jeu d’Anthony Hopkins et de Jonathan Pryce. J’ai d’ailleurs eu un véritable coup de cœur pour ce dernier: n’étant pas une grande fan de Games of Thrones, je l’ai découvert dans ce film. Et quelle découverte! Il a su insuffler une part de tendresse dans chacune de ses expressions, rendant son personnage aimable bien au-delà des faits qui sont avancés. L’émotion que suscite ce film provient donc largement de ce jeu fin et touchant, qui nous conte la construction de l’amitié entre deux hommes que tout oppose.

Les dialogues sont portés au sommet par une mise en scène savamment orchestrée. Elle est si belle que j’en ferai le troisième axe du film: elle pourrait largement se suffire à elle-même. Alternance de couleurs et de nuances de gris, plans statiques et balayages linéaires, zooms exagérés ou insertion d’images documentaires, la forme suggère qu’il faut regarder le film plusieurs fois pour en saisir toutes les subtilités. Et le fond que la construction des «deux papes» tiendrait facilement face à de multiples visions.

Un conte beau et plein d’esprit

Vous pouvez choisir de voir «Les deux papes» comme un documentaire sur la transition entre le pape Benoît XVI et le pape François. Dans ce cas, il est raté. D’abord, certains faits sont délibérément romancés pour les besoins du film, comme la relation entre Jorge Bergoglio et sa «fiancée» – excusez mes travers, je n’ai pas pu m’en empêcher. Mais surtout, la partie de la discussion entre ces deux hommes concernant les abus sexuels est tue. Ce qui montre bien les limites de la recherche documentaire sur une institution où le silence règne en maître: des témoignages des principaux intéressés et de leur entourage seraient indispensables à une telle entreprise. Et impossibles à obtenir.

Ce n’est donc certainement pas le but de ce film. Choisissons de ne pas le regarder comme un manifeste pour le pape François et la réforme de l’Eglise, mais bien pour ce qu’il est: une fiction appuyée sur certaines dates et éléments documentaires. Pour les besoins de l’ancrage dans un certain décor, pour donner force et émotion (les magnifiques images aériennes de l’élection de Benoît XVI et des retrouvailles entre lui et son successeur!) à un film qui devient alors un chef-d’œuvre.

Ecrire à l’auteure: lauriane.pipoz@leregardlibre.com

Crédit photo: © Netflix

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