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«Scandale»: beaucoup d’agitation, peu de bruit6 minutes de lecture

par Kelly Lambiel
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Les mercredis du cinéma – Kelly Lambiel

Le timing est parfait, on ne peut le nier. Alors que Harvey Weinstein comparaît en justice et que le procès de destitution de Donald Trump a débuté, Scandale, qui relate des faits réels ayant défrayé la chronique américaine en 2016, paraît sur nos écrans. Depuis maintenant quelques années, Hollywood s’approprie fréquemment les frasques politiques ou financières des grands de ce monde. Et, en parallèle, le féminisme teinte de façon toujours plus forte le cinéma actuel. Jay Roach propose ici de réunir ces deux tendances pour enfin placer la phallocratie au cœur d’une œuvre cinématographique. Une première – il me semble – nécessaire et qui ouvrira la voie à d’autres – je l’espère – pourvue de certaines qualités mais aussi de défauts certains.

Une histoire qu’il faut raconter

On ne présente plus aujourd’hui le mouvement #MeeToo ni l’homme à l’origine du scandale. Seulement, de ce côté-ci de l’Atlantique, peu savent que celui dont le procès a débuté le 6 janvier dernier n’est pas le premier géant américain à être publiquement incriminé pour harcèlement sexuel. Un an avant que n’éclate l’affaire Weinstein, les accusations de nombreuses présentatrices vedettes de la chaîne d’information Fox News provoquent un véritable tollé aux Etats-Unis et font tomber le magnat de la presse télévisuelle Roger Ailes.

Si les noms de Kayla Pospisil et Gretchen Carlson ne vous évoquent rien – la première étant un personnage de fiction créé pour les besoins du film et la seconde celle par qui l’esclandre est arrivé mais soumise depuis à une clause de confidentialité – celui de Megyn Kelly peut vous être plus familier. Célèbre pour son franc-parler et ses prises de position controversées, elle a notamment fait parler d’elle lors d’une interview houleuse avec Donald Trump, alors candidat à la présidence. Le lendemain, ce dernier, piqué à vif par ses questions sur son sexisme, tweete élégamment (comme à son habitude vous en conviendrez) que Megyn avait probablement ses règles.

Pressée par la chaîne «annexe du Parti républicain» (comme la surnomment ironiquement les américains) de faire ses excuses, cette dernière finit par céder avant de faire à nouveau parler d’elle dans l’affaire Ailes. Adulée et détestée à la fois, consciente que l’image qu’elle véhicule ne jouera pas en sa faveur dans cette histoire, c’est après une longue hésitation qu’elle se décide à rompre le silence sur celui qui a, en partie, fait d’elle une star. Et ne serait-ce que pour cette raison, je peux dire qu’il était temps que ce film voie le jour. C’est d’ailleurs pour cela même qu’après avoir accepté de le produire, Charlize Theron, qui a longtemps hésité, se laisse finalement convaincre de jouer le rôle de Megyn Kelly.

De gauche à droite, les actrices: Margot Robbie, Nicole Kidman et Charlize Theron

Coupables ou victimes?

Parce que oui, parmi les victimes il y a celles que la vie n’a pas épargnées, celles qui n’ont jamais eu de chance et qui ont pourtant toujours tout bien fait. Mais il y a aussi celles qui ne sont pas irréprochables et même celles qui ont accepté. N’en déplaise à certains. Il y a celles qui ne parlent que parce qu’elles ont tout perdu et souhaitent se venger, comme Gretchen Carlson (Nicole Kidman). D’autres, à l’image de Megyn Kelly, qui attendent, pèsent le pour et le contre, se méfient des dommages collatéraux. Celles qui ont peur de perdre leur réputation, leur statut, leur légitimité et de se voir uniquement définies par ces évènements.

Il y a celles qui ont peur, qui ont fini par croire que ça marche comme ça, qui ne savent pas vers qui se tourner, qui pensent que c’est leur place et cachent leur mal-être derrière un grand sourire, des jupes de plus en plus courtes et des artifices en tout genre comme Kayla Pospisil (Margot Robbie) dont la scène dans le bureau de Ailes, pourtant controversée, m’a fait froid dans le dos par sa violence d’une rare intensité. Pas d’insultes, ni même de contact de physique cependant. La caméra se contente de suivre les courbes de la jeune femme à travers le regard libidineux du PDG qui ainsi la brise, sans même la toucher.

Et puis il y a encore et surtout toutes les autres, celles dont on ne parle pas, dont le portrait psychologique n’est même pas esquissé et qui ont eu elles aussi mille raisons de se taire ou de parler. Enfin, celles qui ont vu et ont détourné le regard, celles qui ont été complices, celles qui ont elles-mêmes accablé les victimes. Car dans Scandale, et c’est là une grande réussite, point de manichéisme. Roger Ailes (John Lithgow) lui-même n’y est pas dépeint que comme un monstre mais comme un homme intelligent, ambitieux et même parfois drôle malgré ses terribles et inexcusables failles.

Un résultat brouillon

On pourrait donc s’attendre à trouver ici un chef-d’œuvre mais les choix narratifs du réalisateur laissent malheureusement à désirer. Pire, ils embrouillent le spectateur et empêchent toute empathie. Le film avance en effet à une allure folle qui laisse à peine le temps de souffler. À l’image de Jordan Belfort dans The Wolf of Wall Street, Megyn, Kayla et Gretchen nous guident à travers la fourmilière que constituent les locaux de la chaîne américaine. S’adressant quelquefois directement à nous afin de commenter ou expliquer les faits, elles sont secondées dans leur tâche pédagogique par des images d’archives, des témoignages, des flash infos en rafale et des commentaires textuels présentant une ligne du temps ou des personnages secondaires en trop grand nombre.

Au final, si l’on nettoie le film de tous ces éléments qui malheureusement brouillent la compréhension plus qu’ils ne la clarifient ainsi que de toutes les références qui parlent sûrement au public américain mais moins au reste du monde, on se retrouve avec une fresque informative qui ne fait qu’illustrer l’affaire au lieu de l’analyser. Si Jay Roach évite avec subtilité les écueils du féminisme en proposant des portraits tout en nuance, en voulant retranscrire (je me permets de supposer que c’était là sa volonté) le caractère anxiogène, turbulent et frénétique du monde des médias, notamment lorsque ce genre de scandale éclate, il s’oblige et nous oblige à ne rester qu’en surface.

Avec un tel casting et le talent dont il fait montre dans certaines scènes, on pressent que Scandale, qui restera dans les annales parce qu’il bouscule le patriarcat, ne marquera malheureusement pas le monde du cinéma par ses qualités esthétiques ou parce qu’il mène à un questionnement profond. S’il permet néanmoins d’ouvrir le débat, espérons que d’autres viendront et ébranleront réellement les fondements du sexisme.

Ecrire à l’auteur: kelly.lambiel@leregardlibre.com

Crédit photo: © Impuls Pictures

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