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«Silvio et les autres», l’art du faux4 minutes de lecture

par Thierry Fivaz
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Les mercredis du cinéma – Thierry Fivaz

Avec Silvio et les autres, Paolo Sorrentino nous livre un film riche et particulièrement déroutant. Et comme grand nombre de ses films, faudra-t-il probablement plusieurs visionnages pour envisager, digérer, dans toute sa mesure, cet étrange objet que nous offre une fois de plus le cinéaste italien.

Exercice difficile que de dire en quelques mots en quoi consiste le dernier film de Paolo Sorrentino. Comme souvent avec le cinéaste italien, le film est composé de multiples tableaux, qu’on peine parfois à lier les uns aux autres – une des raisons pour laquelle plusieurs visionnages s’avèrent sans doute nécessaires.

Pour faire simple, nous pouvons dire que le film raconte l’histoire d’un couple originaire des Pouilles qui n’a qu’un seul désir: rentrer en contact avec Lui. Lui, c’est bien sûr Silvio Berlusconi (incarné par un magnifique Toni Servillo). Un Berlusconi qui vient d’être battu aux élections de 2006 et qui, quelque peu désœuvré, tente de reconquérir sa femme Veronica (Elena Sofia Ricci) tout en profitant de passer du bon temps en charmante compagnie. Une situation paradoxale et contradictoire au possible.

Mais qu’à cela ne tienne, comme l’indique le titre original (ndlr: Loro, soit «eux» en italien), le film se concentre principalement sur les courtisans du Cavaliere – qui n’apparaîtra d’ailleurs que vers la quarantième minute. Des courtisans qui s’échinent à être bien vus par le flamboyant Silvio. Quant au couple d’ambitieux, leur idée est simple: louer une villa voisine de celle de Berlusconi, la remplir de jeunes femmes et attendre que le prédateur pointe le bout de son nez.

Comme à son habitude, l’image est particulièrement léchée (presque excessivement travaillée parfois). Ponctué de nombreux plans fixes, le film offre certaines scènes d’une magistrale beauté, comme la Déposition du Christ de la scène finale. Et si l’usage de longs travellings se fait plus rare et moins virevoltant, la patte est là. Impossible de se tromper, c’est bien du Sorrentino.

L’agneau (de) Silvio

Plantée au plein milieu du jardin d’une luxueuse propriété (sous-entendu celle de Berlusconi), une jeune brebis avance prudemment. La bête semble attirée par quelque chose. Arrivant sur l’immense terrasse de la maison, elle semble hésiter, puis finalement, entre dans le salon. Devant elle: un immense écran de télévision qui diffuse une émission typiquement italienne. Captivée par cette televisione spazzatura (ndlr: télépoubelle), la brebis ouvre de grands yeux, puis, sans crier gare, s’écroule raide morte.

Cette scène d’ouverture se fait intrigante et donne le ton. Comme il l’avait déjà fait dans La grande Bellezza, où un ami de Jep faisait disparaître une girafe, Sorrentino s’amuse encore une fois avec la représentation de l’animal. Si, évidemment, la scène peut ici revêtir une dimension allégorique lourde de sens – tondus comme des moutons, les Italiens s’abrutissent comme des bêtes devant la télévision créée par le même homme qui les tond, et vont jusqu’à en crever – cette brebis en images de synthèse détonne également. Sonne faux. Allant jusqu’à flouer et même ridiculiser le message qu’elle véhicule. On vient alors à se demander si, finalement, l’allégorie ne serait pas du pipeau. Construite de toute pièce comme l’est également la fameuse brebis. Mais qu’a donc bien voulu exprimer par là l’énigmatique Sorrentino? Est-il sérieux? Ou l’ambiguïté du message viendrait simplement du fait que tourner avec une vraie brebis était vraiment peu pratique?

Là est toute la subtilité du cinéma de Sorrentino. C’est qu’en plus de traiter de thématiques italiennes (Le conseguenze dell’amoreIl DivoLa grande Bellezza), les films du cinéaste doivent s’envisager également sous une lumière italienne. Et cela dépasse l’esthétique léchée, les références innombrables à Fellini ou aux trésors historiques et artistiques du pays. Car il s’agit surtout d’un état d’esprit, d’un humour particulier. Un humour à la fois grave et détaché et dont on ne sait jamais si ce qui est énoncé est sérieux ou non – et, qu’à voir, de nombreux critiques francophones peinent à comprendre.

Ainsi va Silvio et les autres. Oscillant perpétuellement entre le vrai et le faux, le puéril et le sérieux, le beau et le kitch, le noble et le vulgaire. Non documentaire, le film de Sorrentino est la représentation d’une réalité fantasmée. Dans lequel, grimé en Berlusconi, un Toni Servillo ressemble à un clown. Incarnant un personnage qui, lui aussi, oscille, entre le ridicule et le touchant, le superficiel et l’authentique. Rien n’est vrai, mais pourtant, tout sonne si juste.

Ceux qui s’attendaient donc à un portrait à charge seront déçus, car ce n’est pas ce que propose Sorrentino. L’exercice est ici plus subtil. Le réalisateur dresse le portrait d’un homme qui craint l’ennui, nie la mort, et qui par son incroyable vitalité, tente envers et contre tous de vivre comme s’il avait encore trente ans. Le ridicule de la situation vient du fait que cet homme est un septuagénaire. Que cet amateur de jeunes femmes pourrait être leur grand-père. Que son optimisme n’est en fait que déni. Et on en vient à se demander comment un tel personnage en est venu à occuper de telles fonctions.

Là est toute la question; Sorrentino donne une ébauche de réponse. Dans une scène, on voit un Berlusconi piocher au hasard dans l’annuaire un numéro de téléphone, le politicien compose le numéro et se fixe alors comme objectif de vendre un appartement – qui n’existe pas – à la personne qui a eu le malheur de décrocher. Et alors, soudainement, l’artiste rentre en scène. La bête se réveille. Le vendeur est à l’œuvre. Un vendeur de quoi? Un vendeur de rêve bien sûr. Ainsi est le Berlusconi de Silvio et les autres, drôle de personnage. Mais est-ce si loin de la réalité?

Ecrire à l’auteur: thierry.fivaz@leregardlibre.com

Crédit photo: © Pathé Films

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