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«Tout s’est bien passé»: euthanasie en famille6 minutes de lecture

par Jordi Gabioud
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Les mercredis du cinéma – Jordi Gabioud

Après le succès d’Eté 85, François Ozon revient avec un drame d’une efficace sobriété au service d’un thème aussi lourd que libérateur: l’assistance au suicide. Plongeons-nous dans ce drame rythmé aux battements de coeur.

Adaptation du roman éponyme d’Emmanuèle Bernheim, le film nous narre l’histoire d’Emmanuèle (Sophie Marceau), appelée en urgence suite à un accident vasculaire cérébral dont a été victime André (André Dussollier), son père de 85 ans. C’est au rythme d’un souffle difficile que le père demandera à sa fille l’ultime faveur: l’assister pour mettre fin à une vie qui n’a plus raison d’être.

Le cinéma d’Ozon est confortable. Ce qui lui manque en originalité, il le gagne en efficacité. Si le sujet n’est pas agréable, la réalisation se charge de l’être. Alors que beaucoup auraient été tentés par une forme plus proche d’un naturalisme un peu usé par l’évidence, Ozon privilégie une caméra stable, des mouvements précis et un montage dont le concepteur a le bon goût de savoir couper avant que la moindre redondance ne nous ennuie. Cet ensemble est accompagné d’une excellente direction d’acteur, avec une Sophie Marceau énergique, le meilleur moyen d’exister face à un André Dussollier méconnaissable dans sa diminution. Confortable et efficace, les maîtres- mots d’un cinéma visant à rendre audible visible? un sujet aussi difficile que l’euthanasie.

Un film sur ou un film pour?

Etrangement, l’euthanasie est un sujet politique, mais peu polémique, du moins pour un public helvétique. Sans doute parce qu’il nous concerne tous et que malgré le voile du «on verra ça plus tard», nous savons bien que nous aimerions en finir le moins désagréablement possible. Visionner un film portant un tel thème, c’est lever le voile et nous confronter au terme de notre propre existence. Pourtant, plutôt que de vanter les mérites d’un choix qui devrait appartenir à chaque individu, Tout s’est bien passé nous propose un simple constat. On prend soin d’éviter à la fois le pathos inutile et le débat stérile.

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Certains pourront ressentir le long-métrage comme trop clinique, froid face à son sujet, alors qu’il nous offre assez de détails capables de résonner en nous: une goutte perlant au bout du nez du vieil homme vivement essuyée par sa fille, deux sœurs ne se soutenant pas par les mots mais par l’entrecroisement de leurs jambes, la sensation de n’avoir que peu prise sur nos corps à travers une pluie de noms de médicaments distillés au fil des problèmes. Ces brefs moments se suivent et se multiplient pour, petit à petit, envahir le quotidien de la pauvre Emmanuèle. François Ozon a méticuleusement préparé un film sur. C’était la meilleure approche afin de créer un film pour.

Les larmes bourgeoises

Dès le premier plan, une étagère exhibant la collection Pléiade du protagoniste. Si l’on y trouve des films, c’est un coffret Kubrick. L’activité? Des visites au musée ou le concert d’un neveu à la flûte traversière. On évolue dans une bourgeoisie bien établie, régulièrement convoquée dans la filmographie d’Ozon. On aurait pu s’agacer de l’énième drame bourgeois si le long-métrage n’avait pas l’intelligence de l’utiliser pour insister sur cette fragilité qui nous hante tous. Qu’importe notre statut, nous finirons tous faibles.

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L’euthanasie, c’est une autre histoire. Le bourgeois se retrouve à fuir la justice, il doit s’évader en Suisse. Le pays où l’euthanasie est autorisée n’est pas pour autant érigé en modèle. Il est incarné par «La Dame Suisse», jouée par Hanna Schygulla, grande égérie du cinéma de Fassbinder. A travers son ton lent et ses yeux envoûtants, elle porte en elle une sorte d’inquiétante étrangeté, une forme d’inconnue bien loin de nous rassurer quant au sort du vieillard. Toujours est-il que pour se payer le luxe d’en finir quand on le souhaite, il faut payer. Beaucoup. C’est le privilège de cette famille alors que les pauvres «attendent», souffle Emmanuèle comme un reproche à son père pour avoir osé lui demander une telle faveur.

Puis ce sont les démarches. La confidence à porter pour éviter les dénonciations. L’organisation avec le peu de personnes de confiance. Le linge sale de la famille qui reparaît. Un deuil qui s’étend sur des semaines, puis des mois, jusqu’à la date fatidique. Choisir sa mort demande des efforts et des moyens. Et puis, le moment venu, les larmes sont moins celles de la tristesse de la perte que celles du soulagement d’une promesse tenue.

On peut s’agacer certains choix du réalisateur: sa froideur, sa distance, son cadre social. C’est un choix de lecture qui peut pourtant aisément se renverser. La froideur de sa mise en scène est un confort pour un sujet si difficile. Sa distance est une mise en perspective nous laissant seuls juges et maîtres. Son cadre social en accentue la dimension universelle de nos faiblesses pre-mortem, et l’absurdité de ne pas s’interroger davantage sur un sujet qui nous concerne tous. Si choisir notre mort demeure encore difficile aujourd’hui, on a la chance de pouvoir choisir notre lecture d’œuvres pour la rendre la plus agréable possible.

Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com

Crédits photos: © Carole Bethuel / Mandarin Production / Foz

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