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«Une urgence ordinaire», un film qui dénonce les maux en peu de mots5 minutes de lecture

par Leïla Favre
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Une urgence ordinaire

Dans Une urgence ordinaire, le réalisateur franco-marocain Mohcine Besri nous propose au de plonger dans l’attente infernale d’une famille victime du système de santé obsolète du Maroc. Un drame chargé d’émotions et d’humour noir, qui dénonce et pousse ses spectateurs à la réflexion. En arrière-plan, l’histoire d’un pays incapable d’aimer son peuple.

Jeudi 25 août, au Zinéma de Lausanne. Le réalisateur est présent afin d’expliquer l’origine de son scénario. L’idée du film, dit-il en substance, découle d’une conversation à Tanger avec un jeune homme souhaitant quitter le territoire marocain. Le co-scénariste et réalisateur lui demande alors quels sont les motifs de son départ. L’inconnu lui répond simplement que l’amour qu’il porte pour le Maroc ne semble pas réciproque.

Voici maintenant ce que raconte le film. Zahra et Driss se rendent à l’hôpital de Casablanca avec Ayoub, leur garçon de cinq ans. Depuis plusieurs semaines, il souffre de migraines. Malheureusement, son état semble plus sérieux et coûteux que prévu. Une longue attente à l’intérieur de l’hôpital surchargé commence. Alors que le frère de Driss, Houcine, envisage avec sa femme de vendre leur futur enfant pour financer l’opération d’Ayoub, la famille fait la rencontre d’un jeune homme désespéré qui a tenté de mettre fin à sa vie et qui les soutiendra dans leur épreuve.

«Si son père était ministre, il serait passé en premier»

Dès l’ouverture du long-métrage, on remarque le travail sur la profondeur de champ. Son étendue, qui donne une impression d’infini, hypnotise. Immergé dans les couloirs étroits de l’hôpital casablancais, le public, au même titre que les personnages, se retrouve pressé entre ses murs. Les murs ne sont pas les seuls éléments architecturaux à pouvoir fasciner le spectateur. Dans la séquence introductive du film, plusieurs plans exhibent la ville et son urbanisme écrasant: hauts buildings, trams modernes et routes sans fin.

Mais lorsque les parents arrivent à l’hôpital, c’est tout l’inverse qui les attend. Par ce contraste, Mohcine Besri dénonce avec maîtrise les difficultés financières et sanitaires dont souffre le Maroc. Le message du réalisateur se transmet par l’image. La rareté des dialogues n’enlève rien à l’efficacité du propos. Aussi, l’étendue des plans, leur longueur, le mutisme de certains personnages soutiennent la construction d’un rythme lent, en phase avec l’attente de la famille, démunie face à la situation.

Une urgence ordinaire © Louise Productions Lausanne et La Prod (Maroc)
Une urgence ordinaire © Louise Productions Lausanne et La Prod (Maroc)

Si l’attente détient une place importante dans ce que le long-métrage exprime, il traduit aussi parfaitement l’impuissance et la frustration des parents d’Ayoub, ainsi que celles de l’ensemble des patients de l’hôpital. La position assise est prédominante et explicite la passivité des individus, incapables de bouger, entassés les uns à côté des autres dans des couloirs, des escaliers ou à même le sol. La singularité du film se situe dans le point de vue qu’il aborde. Les spectateurs suivent la déambulation du jeune homme suicidaire; c’est celui qu’on a empêché de mourir qui observe ceux qui tentent désespérément de vivre. Le public accompagne l’homme dans les dédales de l’hôpital, qui sonde les lieux. C’est au moyen de cette promenade silencieuse que l’empathie surgit; cette marche nous oblige à patienter avec les personnages.

Le film peut paraître long, lent, mais c’est justement l’effet escompté. Le temps est parfaitement reproduit; alors que la projection en salle ne dépasse pas l’heure et demie, la nuit d’attente interminable vécue par les personnages est pourtant comprise et partagée. On note tout de même une récurrence quelque peu agaçante: les soupirs du jeune homme dont on suit les pas. L’accablement des patients est palpable et ses plaintes ne rajoutent rien, sinon de la lourdeur à un scénario finement écrit. En effet, sans musique, sans parole ou plan superflu, le film va droit au but. 

Un hôpital empli de vies 

Fatima Zahra Banacer et Rachid Mustapha, interprétant les rôles de Driss et Zahra, offrent un bel équilibre entre le désarroi apathique et la résolution impuissante. Alors que le père émeut par son mutisme et son visage fermé, la volonté de la mère nous autorise à garder espoir. Le personnage d’Ayoub est attendrissant et crédible, malgré le jeune âge de son interprète. Houcine et le Chef infirmier, personnages risibles, permettent un peu de légèreté face aux évènements que la famille endure. Les personnages, parfois faibles et quelquefois fourbes, sont plus humains que jamais. Ils détonnent ainsi avec la froideur des lieux, teintés de différentes nuances de bleu.

Une urgence ordinaire © Louise Productions Lausanne et La Prod (Maroc)
Une urgence ordinaire © Louise Productions Lausanne et La Prod (Maroc)

L’amplification du désespoir est admirable. Des éléments secondaires, vécus par le frère de Driss et sa femme, sont glissés au fil du récit pour finalement faire partie du cœur de l’intrigue. Cette histoire, forte en émotion, est nappée d’une pointe d’humour cynique très appréciée. Celle-ci, au fond, rend compte de l’amoralité des êtres humains.

On regrette cependant la tournure prise par la fin du film lorsque les personnages – et d’autres figurants – se retrouvent sur le pont du haut duquel le jeune homme que nous suivons s’est jeté. A la manière d’un clip accompagné d’une chanson de rap, le changement de ton est déconcertant. C’est seulement en comprenant les paroles que ce moment lyrique prend tout son sens; une protestation par la parole, à l’inverse du long-métrage qui, lui, proteste par le silence et l’image. Le film ne montre pas l’issue de l’histoire d’Ayoub et ne propose aucune solution, à l’instar de l’Etat qui, hors de la fiction, est lui-même incapable d’agir. Par des dialogues efficaces et une image des plus travaillées, Mohcine Besri et son équipe ont réussi le tour de force de nous indigner tout en douceur.

Crédits photos: © Louise Productions Lausanne et La Prod (Maroc)

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Une urgence ordinaire (affiche)

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