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Films

Critique

«Yalda», quand la téléréalité révèle les coutumes6 minutes de lecture

par Fanny Agostino
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Yalda © Little Dream Entertainment

Le nom de Massoud Bakhshi ne nous est pas familier. Pourtant, le second long-métrage de ce réalisateur iranien pourrait l’imposer dans le champ cinématographique mondial. Après s’être emparé du fossé culturel entre l’Europe et l’Iran à travers la trajectoire d’un universitaire dans Une famille respectable (2012), Bakhshi s’inspire d’un programme télévisé iranien nommé «Lune de miel». Celui-ci permettait à des individus condamnés à mort d’être graciés par la famille de la victime en direct. Sur le modèle de The Voice, le public pouvait se saisir de son téléphone et juger de la sincérité de l’acte de repentance du criminel. Si le cinéaste nous expose un univers dont notre lecture sera forcément dystopique, les codes et les pratiques iraniens sont découverts par le prisme de la téléréalité et permettent d’accéder à une réalité culturelle invisible au cinéma.

Des vues nocturnes sur le périphérique de Téhéran. Le trafic y est dense. Les axes routiers se superposent sur différents niveaux. Eloigné de l’agitation urbaine, un studio de télévision. A l’entrée, des femmes s’affairent. L’excitation monte: l’arrivée de la star-coupable est imminente. Maryam (Sadaf Asgari) est menottée, elle est accompagnée de sa mère (Fereshteh Sadre Orafaee) et d’une représentante de l’ordre. Après avoir passé le portique de sécurité, la voilà aspirée dans un rôle qu’elle devra tenir afin de coïncider avec les attentes d’un audimat inquisiteur. Maryam a été condamnée à la pendaison pour le meurtre de son mari – son ancien employeur âgé de soixante-cinq ans – suite à une dispute de couple qui a mal tourné.

Dans son malheur, la jeune femme a de la chance, puisque la diffusion de l’émission coïncide avec Yalda, la nuit du solstice d’hiver célébrant la naissance du dieu du soleil Mithra. L’enjeu est donc grand pour la production du programme: une audience importante est attendue pour cette fête religieuse. Pour contenter le public, il faut donc réussir à obtenir le pardon. Mais cet enjeu relève de la décision de Mona (Behnaz Jafari), fille unique et seule héritière de la victime, son père. Les téléspectateurs sont juges. Le coupable doit se montrer sincère et implorer le pardon, ce que la femme de vingt-deux ans ne semble pas être disposée à faire. Toute la tension du film relève du même enjeu pour le spectateur de l’émission et celui du film: Mona va-t-elle sauver Maryam de la mort?

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Une construction dramatique en trois actes

Le spectateur suit le parcours de Maryam divisé en trois parties distinctes: celles de la préparation de l’émission, de sa diffusion et de sa conclusion. L’unité d’action recouvre donc l’arrivée de Maryam dans les locaux de l’émission jusqu’à sa sortie. Un impératif de timing – l’émission étant diffusée en direct – qui se ressent dans la réalisation de Massoud Bakhshi: nous suivons constamment les différents protagonistes dans leurs va-et-vient. La caméra, même lorsqu’elle est mobile, tremble. Elle traduit la nervosité du personnage principal; parachuté dans un talk-show qui voudrait présenter «la vérité au téléspectateur» entre deux chanteurs de variété. Evidemment, ce postulat n’est qu’un simulacre: le petit reportage diffusé au début du programme pour présenter les faits aux téléspectateurs dramatise les événements, les reconstitue dans des mises en scène tape-à-l’œil, viole l’intimité des protagonistes. Qu’importe, il n’est pas essentiel.

Plus que les événements – n’oublions pas que le jugement a déjà été prononcé –, le point culminant de l’émission réside dans la théâtralisation de repentance du coupable. Si le public est convaincu, l’émission s’engage à payer «le prix du sang». Celui-ci se réfère à la loi du talion: une somme doit être payée par la famille des accusés afin d’éviter au condamné la peine capitale. Il remplace alors le sang versé. Différents rebondissements – quelque peu attendus – s’inscrivent dans ce huis clos dont la narration reste sobre.

Une lecture trop évidente?

Il serait évident d’enfoncer des portes ouvertes en critiquant ce qui apparaît à l’écran comme indéfendable: le jugement d’un crime à travers une émission de téléréalité, la négation du jugement déjà prononcé au profit d’un tribunal sur la place publique, l’exagération des émotions sous le regard des caméras afin de démontrer que l’on souhaite sauver sa vie. Comme dans son traitement des classes sociales, le long-métrage est organisé de manière à provoquer de l’incompréhension et de la colère. Est-ce le même sentiment pour un spectateur iranien? Selon le réalisateur, la distribution de son film coïncide avec l’arrêt de l’émission dont il s’inspire. Hasard de calendrier ou réelle influence, le film a le mérite de révéler les soubassements de procédés escamotant les valeurs portées par la religion. Sans en dévoiler la résolution, le film dévoile combien la notion de pardon est une injonction aux yeux des autres avant d’être un acte de foi.

Avec Yalda, Massoud Bakhshi offre une fenêtre sur un univers méconnu de son pays d’origine. On peut parier que les prochaines productions du cinéaste permettront une approche que l’on espère moins faite «sur-mesure» pour le spectateur occidental.

Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com

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