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«You Will Die at 20» mais la vie t’appelle5 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci

Cette année, le FIFF (Festival International de Films de Fribourg) s’est déroulé sous une forme particulière: programmation des films maintenue, mais à visionner en ligne. Inutile de vous dire pourquoi. Inutile de vous dire que malgré tout ce qui a été mis en place par les organisateurs, aucun écran domestique ne peut remplacer le grand écran. Même si les films sont bons, et même souvent très bons. Le FIFF ne déçoit jamais. Connu pour sélectionner de grands crus de par le monde entier, il permet la découverte de régions lointaines et l’exploration de cultures aussi riches qu’exotiques, en plus d’offrir l’expérience d’un cinéma particulièrement attentif à la forme, qui parle depuis ailleurs, qui parle en soi.

Une expérience de cinéma sous la lumière du Soudan

You Will Die at 20 du réalisateur soudanais Amjad Abu Alala, lauréat du Grand Prix du FIFF de cette année, parle depuis ailleurs en disant quelque chose d’universel. Il parle en soi, par ses images. Parmi les grands crus que nous réserve le FIFF à chaque édition, on est là face à un très grand cru. Une œuvre sublime tant dans son propos que dans sa forme. En fait, surtout dans sa forme. Non pas que le fond soit médiocre, mais c’est vraiment le travail opéré par la caméra qui marque plus que tout le reste.

La photographie fascine en premier lieu avec la place qu’elle accorde à lumière. La lumière extérieure chaude et grave sous un ciel pourtant bleu clair, frais et léger. Dans les intérieurs, l’ombre domine: elle laisse aux sens du spectateur tantôt le sentiment d’une insupportable réclusion, tantôt celui d’une tendre et rassurante protection contre le monde et ses dangers. Quand des faisceaux du lumière pénètrent une pièce particulière de la maison du personnage principal, c’est à la poussière, visible dans ces faisceaux, de s’élever et de planer dans l’air pour plonger la scène dans une ambiance onirique et mystique.

La lumière, encore elle, qui donne aux traits des corps une précision sensuelle, qui met en valeur les couleurs de la peau. Et qui met tout autant en valeur les couleurs de chaque élément du décor: du ciel bleu au beige sec de la terre battue, du bordeaux des étals d’un commerce au rouge d’un plat de légumes, du bariolé joyeux des vêtements des femmes – sauf quand elles se parent de noir, deuil oblige – au blanc pur et resplendissant des vêtements masculins.

La photographie du film se distingue enfin par une maîtrise élégante et très significative de l’alternance entre le net et le flou. Le tout, sous le regard à la fois âpre et amoureux du réalisateur. La forme au cinéma, ce n’est pas seulement ce qui est présenté aux yeux du spectateur, mais aussi à ses oreilles. Si la musique reste très discrète, la bande-son de cette œuvre se concentre surtout sur le chant, notamment la récitation coranique, ainsi que sur l’effet musical qu’elle donne à ses bruits, en plaçant à l’honneur le son du battement du cœur. You Will Die at 20 nous immerge alors dans une ambiance totalement saisissante et sensitive. Une vraie expérience de cinéma. D’un cinéma qui n’est autre que beau.

Une expérience de cinéma avec Muzamil

Quand une œuvre est vraiment belle dans sa forme, elle l’est généralement aussi dans son fond. La beauté du fond s’appelle intelligence. Une œuvre sublime et intelligente. Pas de grandes théories, pas de film à thèse non plus. L’intelligence du long-métrage réside dans un scénario qui raconte une histoire simple. Celle d’un jeune garçon, Muzamil, à qui on a prédit qu’il mourra le jour de ses vingt ans. Selon une tradition du pays, la mère de Muzamil l’emmène juste après sa naissance chez un cheik pour qu’il le bénisse.

La bénédiction est à peine prononcée que l’un des derviches qui danse, selon le rite autour de la place où le cheik reçoit les fidèles, tombe à terre en prononçant le nombre de vingt. Pour la mère du bébé, c’est clair. Dieu a parlé. Son fils vivra jusqu’à vingt ans. Elle le surprotège durant son enfance, jusqu’à ce que l’imam du village insiste pour que l’enfant sorte de chez lui, socialise avec les autres enfants, apprenne à lire et connaisse le Coran. «Une vie ne vaut-elle pas la peine d’être belle au prétexte qu’elle ne doit durer que vingt ans?» C’est toute la question de la dignité humaine qui est mise en avant par l’imam.

Muzamil grandit, beau jeune homme, il approche de ses vingt ans. Il se confine à une vie pure et pieuse. Il est le seul garçon du village à avoir passé sa «récitation» à la mosquée: il appris le Coran par cœur. Dévoué, sérieux, et pourtant toujours grave parce qu’il sait qu’il ne lui reste pas longtemps à vivre. Il connaît l’amour avec une jeune fille sans baisers – ou juste un petit pour la route… – ni caresses, dans la pudeur la plus totale, malgré son corps et son cœur qui brûlent. Après tout, ils ne pourront jamais se marier: la mort approche. A quoi bon s’engager? A quoi bon risquer le péché? L’amour est impossible.

Il faut qu’advienne la rencontre avec un vieux marginal qui vit dans «la maison anglaise» à l’écart des autres villageois. La rencontre entre les deux se fait justement par cause de ce qui est considéré comme péché. Le patron du petit commerce pour lequel travaille le jeune lui demande de livrer «quelque chose», camouflé dans un sachet, à l’homme de la maison anglaise. Ce quelque chose, Muzamil découvre au fil des livraisons que c’est de l’alcool. Il en est horrifié. Et pourtant, un lien profond se crée entre les deux hommes. Le vieux marginal lui fait découvrir, à travers les objets de la maison qu’il habite, l’Occident, ce rêve. Il lui fait découvrir des photos de femmes. Il lui fait découvrir le cinéma. La liberté. A Muzamil de la saisir. Mort ou pas mort à venir. A Muzamil de vivre enfin. Péché ou pas péché. Sans renier sa foi, ni son parcours, ni son village, ni sa famille, Muzamil arrive à ses vingt ans, et goûte à l’existence. La mort menaçant, mais la vie qui le porte.

You Will Die at 20 est dédié à ceux qui ont donné leur vie pour la révolution soudanaise.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Trigon-Film

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