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Bernard Tapie, leçons d’un boomer7 minutes de lecture

par Daniel Wittmer
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Le Regard Libre N° 78Daniel Wittmer

Si je connais les principaux contours et reliefs de l’histoire fantastique de Bernard Tapie, disparu dimanche, et bien que je lui prête une affection sincère et profonde, je dois reconnaître que Bernard Tapie. Leçons de vie, de mort et d’amour, la dernière biographie de Franz-Olivier Giesbert en date (éditions Les Presses de la Cité), ne m’a pas vraiment emballé, tant elle m’encombrait de détails technico-factuels brouillant ma compréhension. Cependant, ce passe-temps estival m’a ouvert les portes d’une réflexion: le cas Bernard Tapie montre à quel point le mépris qui s’agite parfois contre les baby-boomers est infondé.

Français des français, autodidacte du courage, Bernard Tapie est parti comme il a vécu sa vie et sa maladie sous l’œil de ses compatriotes: sans tabou. «Celui qui a peur de la mort a peur de la vie parce qu’il la passe à avoir peur de la perdre», confiait-il deux ans plus tôt au présentateur du 20h des week-ends de France 2, Laurent Delahousse. Ce dimanche 3 octobre 2021, Didier Barbelivien rendait hommage à Feu Nanard, son ami, en ces termes: «Toute sa vie, il a banni le principe de précaution.»

Sa biographie signée Franz-Olivier Giesbert

«Professionnel de la survie», «pionnier», «défricheur»: ce sont les mots qu’emploie l’éditorialiste et écrivain Franz-Olivier Giesbert – FOG pour les intimes – pour définir Bernard Tapie dans sa biographie. Si ces termes renvoient à l’évidence au plus juste costume de Tapie, FOG consent au fait qu’eux deux n’entretenaient jusqu’en 2015 qu’un respect prudent l’un envers l’autre. Ce récit construit autour de superlatifs trahit donc la démarche d’une découverte plus profonde des piliers fondateurs de cet «homme-édifice» qui s’est construit tout seul.

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Lorsque FOG s’est lancé dans le chantier de ce texte il y a six ans, Bernard Tapie n’était pas encore malade, quoique ce dernier soupçonnât déjà une fatigue qui ne lui ressemblait pas. Il a souffert ensuite de deux cancers – de l’oesophage et de l’estomac – qui se sont déclenchés durant l’été 2017 et dont il se savait condamné. Ces cancers, c’est ce à quoi Bernard Tapie aura le plus tenu tête, avec le tempérament excessif et tumultueux qui ont invariablement été l’expression de son énergie débordante.

Un touche-à-tout emblématique

Cette vivacité lui ayant permis d’embrasser d’innombrables existences au fil de sa carrière (chanteur, acteur, animateur de télévision, «réanimateur d’entreprises», président de club de football, ministre socialiste sous la présidence de François Mitterrand, repris de justice, comédien, etc.), parfois en même temps, m’évoque avec amusement la période s’étalant de l’humanisme au siècle des Lumières, où l’on trouvait des penseurs, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau, à la fois philosophes, botanistes, compositeurs, essayistes et naturalistes.

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«Tapie aura été tout à la fois le profiteur, la caricature, la victime et le symptôme du mal français», écrit Franz-Olivier Giesbert. S’il n’est pour certains qu’une figure de la réussite arrogante, du tapage médiatique, des «années fric» (la décennie 1980) et d’un essor de la mondialisation, il m’est apparu au long de cette biographie que Bernard Tapie, né en 1943, était aussi naturellement un symbole de cette génération à laquelle il appartenait, désormais maudite çà et là: celle des baby-boomers.

«OK Boomer», un terme de rébellion

Faut-il encore le souligner, «baby-boomer» est le terme attribué aux personnes nées entre la fin des années 1940 et l’aube des années 1960. Il désigne ainsi les bébés du pic de natalité («baby boom») à travers le monde survenu durant les vingt années suivant l’issue de la Seconde Guerre mondiale, au cœur des fameuses Trente Glorieuses (1945 à 1975).

Fin 2019, c’est lors d’une session parlementaire que Chlöe Swarbrick, députée néo-zélandaise de 25 ans, a rhabillé pour l’hiver l’un de ses collègues de 49 ans en le fustigeant d’un «OK Boomer». Celui-ci l’avait huée alors qu’elle s’exprimait à propos du réchauffement climatique.

Mais il s’agit de rappeler maintenant le sens qu’a ensuite pris cette appellation négative. L’épisode néo-zélandais, médiatisé planétairement, a permis à la formule «Ok Boomer» une phrase fétiche des jeunes contemporains pour dénoncer «les critiques condescendantes de leurs aînés» à leur égard «et leur tendance à les infantiliser, notamment en ce qui concerne l’écologie.» (Madame Figaro du 8 novembre 2019) Le déni de l’urgence climatique et le «C’était mieux avant» sont deux des reproches faits à vau-l’eau aux jeunes d’antan. Ainsi, il n’est pas rare de voir ou d’entendre aujourd’hui la jeunesse protester sa révolte et son sentiment d’incompréhension à l’égard des de personnes de l’âge de leurs grands-parents en leur bouclant le clapet au moyen d’une expression qui se lance comme on claque une porte.

La fameuse faute au passé

Venu de l’Antiquité, c’est dans le courant du XIXe siècle que le mot «adolescence» s’est réellement démocratisé dans la société occidentale. Et c’est un siècle plus tard que ce mot a pris une définition plus éloquente au regard de son époque: je parle des années 1960. Les révolutions culturelles que cette décennie a entraînées ne se sont pas faites par hasard ou d’elles-mêmes, contrairement à ce que tendent à oublier certains «milléniaux» (la génération née entre 1980 et 2000) et surtout ceux gravitant autour de la vingtaine.

Bernard Tapie, comme bon nombre de ses contemporains, a vécu au temps des colonisateurs de cette adolescence nouvelle; il est même devenu l’un de ses représentants. Outre les frasques qu’on lui connaît, il a fait savoir sa lassitude d’un vieux monde et compte parmi les personnes à avoir donné naissance à la jeunesse telle qu’on la vit aujourd’hui, la technologie numérique en moins. Il a en quelque sorte participé à la possibilité pour les jeunes de critiquer en chœur la génération antérieure. Une invention des baby boomers qui se retourne maintenant contre eux.

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A l’âge de 78 ans, évoquant dans sa biographie «la désagrégation de la société», Tapie se saisit par exemple du thème de l’école: «Avant, quand tu étais petit et que tu chahutais en cours, tu prenais une beigne du prof et le soir, quand tu rentrais à la maison, bim, ta mère te remettait ça. Aujourd’hui, tout le monde est une victime. Même les salauds!»

«OK Boomer», doit-on lui rétorquer? Certainement pas. Il est incohérent d’observer le monde d’autrefois avec les jumelles du troisième millénaire. Le fait qu’il y ait eu des choses critiquables à l’époque n’empêche en rien de voir des choses critiquables dans la société actuelle et n’implique pas de balancer l’ancienne dans son ensemble. C’est peut-être la même erreur qu’a faite la génération de Tapie et dont elle s’est rendue compte un peu tard, un peu trop tard.

Un héritage perpétuel

Si l’on s’en est pris à «Nanard» pour ses excès de détermination et la fierté qu’il en retirait, il demeurera, comme d’autres, le modèle d’un boomer ayant insufflé ses idées novatrices – par exemple, très concrètement, les nouvelles fixations pour les pédales des cyclistes – là où il passait et une certaine forme d’inspiration et d’empathie pour celles et ceux qui ont voulu le comprendre dans son parcours hors norme.

Dans son éditorial du mois de juin, Jonas Follonier, rédacteur en chef de la présente revue, a abordé le thème du progressisme en le ramenant à un élément simple, mais qu’il est sain de rappeler: «En réalité, nous sommes tous progressistes: personne ne voudrait que demain soit pire qu’aujourd’hui.»

Est-ce donc vraiment raisonnable d’imputer de l’immobilisme climatique et du conservatisme sociétal à la génération des baby-boomers, celle qui, elle-même, a su se relever d’une première moitié de siècle ayant connu la Grande Guerre et la suivante? Pas si sûr, car nous avons affaire à une philosophie définie justement par le mouvement et n’excluant par ailleurs en rien l’attachement à la tradition – j’ai nommé le libéralisme.

Crédit photo: Capture d’écran YouTube / Les Grands Entretiens d’Yves Thréard

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