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Champ et hors-champ (carte blanche de Patrick Gilliéron Lopreno)6 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Le photographe suisse Patrick Gilliéron Lopreno nous livre une «carte blanche» photographique consacrée au peintre helvétique Eugène Burnand pour le centenaire de sa mort.

Je connais l’œuvre du peintre naturaliste Eugène Burnand, depuis des années. Je suis, par ailleurs, venu de nombreuses fois au Musée Eugène Burnand voir ses toiles. Celles qui m’ont le plus touchées sont celles réalisées en Camargue. Les couleurs pastel permettent au ciel, à la mer et au sable de s’entremêler dans une dynamique de couleur et de libérer l’émotion enfermée dans le trop juste respect de la réalité. A cette intersection, j’ai perçu chez Burnand cette belle opposition entre réalité et lyrisme. Même dans un souci méticuleux de peindre ce qu’il voyait, à la virgule près, le peintre, en revanche, ne peut lutter contre ses propres sentiments. En peignant, il insuffle, à travers son pinceau, sa propre vision de la réalité; donc d’une certaine subjectivité.

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Tout en étant inscrit dans le mouvement pictural naturaliste, qui donne aux peintures une sorte d’objectivisme, Eugène Burnand, par sa composition, ses choix de couleurs et sa technique, ne se défait pas d’un certain subjectivisme. A mon avis, le syncrétisme de ces deux tendances opposées donne naissance à l’œuvre et à l’auteur; sinon on tomberait bassement dans un réalisme soviétique avant l’heure. L’art, c’est avant tout l’expression du ressenti de l’homme et la propagande, l’imposition d’un style d’école qui abolit de fait l’artiste.

Il y a deux ans, j’ai débuté un projet photographique sur le monde paysan, qui a abouti à la publication du livre Champs, en mars de cette année. Durant des mois et des mois, j’ai sillonné la même campagne peinte par Eugène Burnand. Je l’ai aimée; profondément. Les paysages de brumes matinales, les lumières rasantes d’été, la terre dense des champs labourés et les hommes de caractère qui la peuplent donnent l’impression que l’éternité l’habite. J’ai vraiment été influencé dans ma démarche par l’œuvre du peintre moudonnois et cette dualité esthétique entre réalisme et lyrisme me poursuit depuis mes premiers travaux. Il est évident, pour moi, que la poésie se trouve dans la réalité. Le poète Philippe Jaccottet le disait très justement.

En juillet 2020, j’ai pris contact avec Justin Favrod de la Fondation du Musée Eugène Burnand pour lui proposer une «carte blanche» photographique pour le centenaire de la mort d’Eugène Burnand. C’est avec enthousiasme qu’il m’a reçu et que ma demande a été validée par le comité de la Fondation.

J’ai donc pu librement travailler autour du peintre et me confronter à lui, dans un combat vital et pacifique. J’ai choisi quatre axes, comme des chapitres, pour construire mon exposition «Champ et hors-champ», qui est actuellement présentée, de mai à octobre, au Musée Eugène Burnand à Moudon.

Ma première série de photographies est appelée «photos-tableaux». En effet, j’ai voulu, par des mises en scène photographiques et naturalistes, réaliser des images qui soient comme des tableaux et qui tendent à ressembler, par les thématiques, à des toiles, mais photographiques, d’Eugène Burnand. J’ai été influencé par les tableaux: Taureau dans les Alpes (1884) et Le Paysan (1894).

Ensuite, comme au moyen d’un carnet de notes, j’ai pris des photos au domaine du Seppey et pu pénétrer à l’intérieur de l’atelier du peintre, qui est actuellement à l’abandon. J’ai ressenti une vive émotion car le lieu est encore chargé de la présence de l’artiste; comparable à l’atelier Cézanne à Aix-en-Provence, si on le visite seul. Sous une table, j’ai trouvé des albums de famille, des carnets de voyage, des coupures de presse et, aux murs, se trouvent encore des toiles peintes par David Burnand. Par hasard, en ouvrant un des albums, je suis tombé sur une photographie d’Eugène Burnand aux côtés de sa femme Julia (Girardet), assis sur un banc. Une impression de sérénité et d’amour s’en dégageait. C’est ce face-à-face avec ces deux visages d’humanité qui m’a rendu encore plus attachant cet homme qui, malgré une certaine austérité et son appartenance à l’église libre, devait être un mari aimant et un père de famille exemplaire. Tout à coup, une connexion entre deux temps lointains et différents m’a fait aimer l’homme et non plus uniquement le peintre.

Après avoir travaillé sur le domaine du Seppey, je suis monté à Vuillens, photographier la chapelle et le cimetière, où sont enterrés la plupart des Burnand. A peine passé le portail, sur la droite, se trouve la tombe d’Eugène et de Julia, unis et liés sous les branches d’un arbre protecteur.

Pour clore, ma dernière série photographique est composée de vues de campagne, en format restreint, des environs et deux images montrent le champ du Labour dans le Jorat (1916).

Avec mon livre Champs et mon exposition «Champ et hors-champ», j’ai pu mieux connaître l’œuvre d’Eugène Burnand et m’interroger, comme dans un effet miroir, sur le naturalisme, qui, en photographie, pourrait s’apparenter au documentaire-social. La représentation du réel, dans un respect strict de la réalité, est intimement constitutive de l’apparition de la photographie pour documenter la vie des hommes et de l’Histoire. Cependant, je me suis toujours senti enfermé dans une vision trop descriptive et réaliste de l’image. Avec le temps, je me suis enfin allégé et libéré en adoptant un point de vue qui mêle poésie, onirisme et réalité, sans trahir la nature des êtres et des choses.

Je n’ai donc pas triché avec la Création. Eugène Burnand non plus, d’ailleurs.

Image de couverture: Photographie de Patrick Gilliéron Lopreno extraite du livre d’art Champs, paru en mars de cette année et dont la critique est disponible dans notre précédente édition (N° 74) © Patrick Gilliéron Lopreno / Olivier Morattel Editeur

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