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Pierre Bergé: l’homme qui incarnait l’époque4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Regard sur l’actualité – Loris S. Musumeci

Un morceau de France disparaît. Et les hommages volent pour cet homme complet, qui conçut son temps par des pouvoirs aussi nombreux que divers. Pierre Bergé était le maître à penser des élites, le promoteur d’un progressisme sociétal et d’un capitalisme effréné, mais encore un patron de presse, un collectionneur d’art et un fin lettré. Un as de ce Paris flamboyant, gauchiste et luxueux, dont la carte n’est plus.

Jeunesse en révolution

Fils unique, de parents anarchistes, né en 1930. Jeune homme, il est têtu et ne tarde pas à s’affirmer. Sans terminer son lycée, il quitte le domicile familial d’Oléron pour monter à Paris. Il rêve de devenir journaliste, ou d’écrire pour le moins, et de faire partie de la haute. Lui, qui est homosexuel, sans s’en cacher, et qui aime passionnément les arts et les lettres.

Il a tout juste dix-huit ans, mais déjà vingt ans d’avance sur Mai 68. Révolution que Pierre Bergé vit déjà à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Dans la capitale, il mène en effet une vie de dandy, qui donnerait à rêver aujourd’hui encore aux jeunes gens épris de liberté. Devenu courtier en librairie, sa vie et son corps se confondent avec ceux du talentueux peintre Bernard Buffet.

Yves Saint Laurent

Du couple artistique, c’est la rencontre avec l’héritier du regretté Christian Dior qui offre au Paris euphorique son couple emblématique. 1958, Pierre Bergé et Yves Saint Laurent; deux hommes complémentaires, pour la vie. Si ce premier sait s’y prendre avec brio en affaires, le second est plus introverti et timide. «Nous allons fonder notre maison ensemble. Je dessinerai les collections, et tu la dirigeras!»

Ce ne sont pas seulement les couleurs et les tissus qu’ils veulent changer, mais aussi les mœurs et la société. Yves se détache du style classique porté par Dior, pour allumer les vêtements d’une nouvelle liberté. La mode devient alors l’arme des femmes pour leur projet d’émancipation.

Et les calculs de Bergé l’homme d’affaires ne s’arrêtent pas là. Alors que la haute couture commence à pâtir, celui-ci prend conscience de la nécessité du prêt-à-porter. Dans un quartier chic de Paris, il fait ouvrir la première boutique de la grande maison. Bonne idée pour donner le goût du luxe à une large panoplie de dames. En cela, il devient l’un des principaux déclencheurs de l’empire industriel de la mode.

Gauche caviar

Par ailleurs, les manœuvres économiques ne vont pas sans quelques amitiés du côté politique. Pierre Bergé admire et soutient François Mitterrand. C’est un petit monde d’arrangements et de prestiges qui se met en place. Mitterrand couvre de gloire la couture d’Yves Saint Laurent pour offrir à ses amis une bonne promotion. En échange, Bergé dope sa campagne présidentielle pour un second septennat. Sans compter l’amour commun de la littérature entre le président et lui. Tous les éléments sont alors rassemblés pour donner naissance au nec plus ultra de la fameuse gauche caviar.

Ces mondanités marchent avec leur lot d’orgies et de fêtes. Ses soirées, le couple les passe au Sept, club chaud et huppé. L’alcool y coule à flots. La drogue ne manque pas. Pierre est plus solide, il sait se préserver. Yves, faible, y succombe. Les plaisirs de la chair et des sens le perdent. Son compagnon tient néanmoins le cap. Pour l’entreprise, la réputation, l’argent et sans doute un peu d’amour.

A l’image des couples modernes, la dépendance devient telle qu’Yves Saint Laurent déclarait: «Sans toi, je ne serais peut-être pas celui que je suis. Sans moi, je ne l’espère pas mais je le pense, tu ne serais pas ce que tu es. Ce grand aigle à deux têtes qui cingle les mers, dépasse les frontières, envahit le monde de son envergure sans pareil, c’est nous.»

Militantisme

Enfin, le militantisme de l’homme de fortune ne peut pas être oublié. En 2009, il vendit une grande part de sa collection d’art pour des fonds utiles à la lutte contre le sida. Il s’investit par la suite dans la création du mariage gay sous Hollande, ainsi que la GPA et la PMA. Ces bouleversements sociétaux, Pierre Bergé ne les provoqua pas sans violence et cruauté. Au moins, il resta fidèle et cohérent à son projet; tout le monde le reconnaît.

Cet engagement bénéficie également d’un microphone depuis 2010, lorsque le magnat de la haute couture racheta le groupe du journal Le Monde. Il a ainsi doté ses visions de changements de l’un des plus grands journaux de l’Hexagone. Coup de fin stratège, c’est certain.

Pierre Bergé incarnait l’époque. Sa pensée, ses désirs et sa philosophie demeurent en trace profonde dans la société actuelle. Avec un brin de tendresse, beaucoup d’excès, une ambition certaine et d’insatiables caprices.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © vogue.it

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