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L’émancipation progressive de la principauté de Neuchâtel5 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Le Regard Libre N° 22 – Jules Aubert

Pour bien comprendre dans quel contexte s’inscrit le lent affranchissement de la principauté de Neuchâtel, il faut tout d’abord comprendre qui a régné sur ce petit territoire qui borde le Doubs d’un côté et le lac de l’autre.

L’histoire du comté de Neuchâtel à ceci de particulier qu’en 837 ans, de 1011 à 1848, elle a vu se succéder une multitude de souverains dont nous ne ferons pas la liste exhaustive ici. Nous commencerons donc en 1707, année d’une importance cruciale, puisque Marie de Nemours de la lignée des Orléans-Longueville de manière indirecte décède et se voit refuser le droit de transmettre son autorité sur la principauté par le tribunal des trois Etats. Les Orléans Longueville voient donc mourir avec La Duchesse de Nemours leur prétention sur Neuchâtel. La principauté dépourvue de souverain doit alors déterminer qui succèdera à cette famille française. Le tribunal des trois Etats a seul le pouvoir de choisir le nouveau prince.

Le Conseil d’Etat appelle donc toutes les familles ayant des prétentions à la succession à faire valoir leurs droits en leur soumettant des preuves permettant de contrôler le fondement de leur revendication. Ils sont nombreux à ambitionner le trône de la principauté ; tous viennent avec des documents attestant leurs liens généalogiques plus ou moins éloignés avec une des familles ayant régné à Neuchâtel. Sur vingt prétendants, le tribunal n’en retiendra que neuf. Et le 4 novembre 1707, le procès s’achève et la principauté est officiellement accordée au Roi de Prusse, Frédéric Ier de Hohenzollern.

Pendant tout le XVIIIe siècle, les relations entre Neuchâtel et la Prusse sont plus ou moins cordiales, à quelques exceptions près. En effet, lorsque Frédéric II décide de modifier la manière de percevoir les impôts dans la principauté, il se heurte à une vague de mécontentements. Une longue lutte entre Neuchâtel et Berlin s’installe alors ; sans solution, on fait appel à l’arbitrage de Berne qui voit les représentants des deux camps défendre leur prétention. C’est Claude Gaudot représentant des intérêts du roi de Prusse qui va l’emporter devant l’impartialité bernoise.

Neuchâtel, bien que propriété du Roi de Prusse, était étroitement liée à la Confédération, en témoigne cet événement de médiation, mais il existe d’autres preuves de la proximité des deux Etats. La bataille de Rossbach qui voit entre autres la Confédération helvétique composée de bataillons neuchâtelois combattre aux côtés du Saint empire Romain Germanique, du Royaume d’Autriche, du Royaume de France et de la Prusse.

Les Neuchâtelois, fidèles alliés des cantons suisses, se retrouvaient confrontés à leur souverain. Fait peu commun que Boyve, historien neuchâtelois du XVIIIe siècle, définit en ces termes : « Peut-on imaginer un lien fédératif plus fort que celui qui oblige un Etat à suivre en guerre ses alliés contre son propre prince ? »

Un élément majeur en Europe va venir bouleverser les mentalités, la Révolution française ! C’est la première fois que le vent de la démocratie arrive aux portes de la principauté. Comme un orage que l’on voit passer au loin, elle ne fit pas durablement des dégâts mais imprima dans l’esprit des Neuchâtelois un certain désir de liberté.

Les suites de la Révolution française aboutissent à une période d’instabilité en Europe ; les monarques tentent de contenir toute velléité d’émancipation dans leur pays. Très vite, en France, on ne trouve de la République que les sombres souvenirs d’une période sanglante mais plus aucune trace institutionnelle. En effet, Napoléon a fait chuter la République et avec elle tous les rêves de liberté qu’elle avait faits naître en Europe. L’Empereur souhaite se lancer à la conquête de nouveaux territoires. Ce désir d’expansion aura des répercussions immédiates sur Neuchâtel, puisque Napoléon attaque la Prusse lors d’une bataille célèbre, celle d’Austerlitz. Au terme de ce conflit, Napoléon et Frédéric-Guillaume III se re-trouvent afin de redéfinir la politique européenne. Lors de cet entretien, les deux souverains décident de procéder à un échange de territoire, Napoléon cè-de le Hanovre à la Prusse et dans le même temps, Frédéric-Guillaume III se sépare de Neuchâtel au profit de l’empereur.

L’an 1806 voit donc la principauté de Neuchâtel décrétée lors du procès de 1707 inaliénable et indivisible passer en main française. La réaction des Neuchâtelois est plutôt mitigée : certains voient en cet échange un abandon, une trahison et surtout une usurpation de droits. D’autres estiment qu’il vaut mieux un transfert de propriété pacifique qu’une invasion militaire. Cet acte va toutefois marquer durablement les esprits neuchâtelois et ils seront nombreux à se souvenir de cette trahison en 1831 et 1848.

Lorsque entre 1813 et 1814 l’armée Napoléonienne se voit infliger une cuisante défaite à Leipzig, les cartes sont redistribuées, puisque l’empereur est contraint à l’exil. La situation est pour le moins confuse à Neuchâtel, et deux camps se distinguent bientôt : d’un côté, ceux qui voient en la chute de Napoléon le bon moment pour rejoindre la Suisse, le roi de Prusse ayant abandonné ses prétentions sur la principauté en 1806 ; de l’autre, ceux qui pensent que Neuchâtel ne peut se passer d’un souverain à la tête de l’Etat et qui seraient même prêts à envisager le retour des Hohenzollern, que l’on sait favorables à un rapprochement entre la principauté et la Confédération voisine.

Frédéric-Guillaume III va forcer la décision en envoyant un émissaire, Jean-Pierre Chambrier d’Oleyres défendre ses intérêts et discuter d’un possible rapprochement avec la Suisse. Il faut attendre le congrès de Vienne qui se déroule d’avril à août 1814 pour avoir les réponses sur ce que réserve l’avenir aux Neuchâtelois. En effet, au terme de longues discussions, Neuchâtel obtient un double statut : elle sera désormais canton Suisse et propriété du roi de Prusse. Pour ce faire, le souverain de la principauté va céder tous les pouvoirs au Conseil d’Etat sur les questions concernant la Confédération. Le congrès de Vienne vient donc redéfinir la situation politique de Neuchâtel et modifier considérablement son avenir. Elle aura des conséquences bien plus importantes que celles qu’on aurait pu prévoir au moment de la signature de ce traité.

Finalement, le début du XIXe siècle aura été mouvementé pour la petite principauté de Neuchâtel, elle aura passé de mains en mains sans que l’on se soucie vraiment de ce que pensait la population, et elle finira par retrouver une stabilité en intégrant la Confédération helvétique. Ces changements marquèrent une rupture irréversible dans les mentalités. Le mariage avec la Suisse et de fait avec ses institutions démocratiques poussèrent peu à peu mais définitivement le territoire du statut de principauté à celui de république. Il fallut trois révolutions, deux en 1831 et une en 1848, pour que la séparation soit consommée avec le roi de Prusse. La stabilité qui suivit cette émancipation est le fruit d’un long processus d’affranchissement d’un régime devenu incompatible avec la conscience collective. Neuchâtel qui avait toujours été sous l’emprise d’un souverain allait désormais découvrir les saveurs du soleil de la liberté.

Image : Prestation de serment en 1786 sur la place de la Collégiale

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