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«A son image»: un roman en funérailles4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les bouquins du mardi – Loris S. Musumeci

«De tous les chants de la messe de funérailles, le Sanctus est le seul dont les paroles ne subissent aucun changement parce qu’il n’y est pas question des hommes, de leur naissance et de leur mort, mais seulement du Seigneur, le Dieu des Armées. Les cieux et la terre sont remplis de Ta gloire– la caresse du bout des doigts sur les paupières, la pulpe de l’index. Simon regarde danser la flamme du cierge guettant toujours le sourire d’Antonia et il ferme les yeux. Dans la messe chantée aujourd’hui, telle qu’elle a été élaborée au cours des siècles dans un minuscule village du centre de la Corse, ce ne sont pas seulement les paroles du Sanctus qui sont immuables mais aussi sa mélodie si bien qu’en l’écoutant les yeux fermés, il est impossible de savoir si l’office auquel on assiste est celui des défunts ou celui des vivants.»

Corse, 2003: Antonia est retrouvée au fond d’un ravin. Sur la route de l’Ostriconi, éblouie par les rayons d’un doux soleil d’août, sa voiture s’est laissée aller à la chute dans le vide. La famille apprend la nouvelle; elle en est meurtrie. Plus particulièrement son oncle et parrain qui, outre la tristesse qui l’accable, doit affronter l’épreuve de célébrer les funérailles. Il est prêtre, malgré lui. Trop dur de faire le récit de la vie de la jeune femme. Il ne veut s’en tenir qu’à la simple et stricte liturgie. On n’en apprend pas moins qu’Antonia était photographe passionnée mais amère. Elle a rêvé toute sa vie de couvrir les grands événements du monde, telles les guerres. Elle l’a fait, en Yougoslavie. Sans résultat. Pour le reste, ses photos consistaient à raconter la vie locale; à couvrir les mariages de son objectif. 

Jérôme Ferrari ne nous emmène pas bien loin, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Il évoque la guerre de Yougoslavie, sans en faire son thème central. Il rappelle la guerre italo-turque en Lybie au début du siècle dernier, sous forme d’anecdote. L’écrivain, lauréat du Goncourt en 2012, manie ses références avec talent. Parce qu’il ancre son récit dans la profondeur de la Corse, durant ses années les plus chaudes politiquement; dans la profondeur des mélodies tragiques des cultures méditerranéennes; dans la profondeur de la foi catholique et de ses rites; dans la profondeur des rêves d’une jeune femme; dans la profondeur de la terre où on l’enterre.

A son image n’est pas le roman le plus facile d’accès. Il n’en demeure pas moins un récit fort de questions philosophiques, de réflexions historiques et d’un intérêt saisissant. Quel est notre rapport à l’image? Que dit la photographie? Traite-t-elle du réel? Est-elle obscène? Surtout quand elle montre la guerre, des hommes humiliés, des humbles décombres, des cadavres sans humilité? Ou quand le sujet n’est que supercherie, comme lorsqu’Antonia se rend à une conférence du FLNC (Front de libération nationale corse) et y reconnaît tous ses copains d’enfance derrière leurs vulgaires cagoules? Ou quand le sujet semble être bien trop grave pour s’exprimer à travers une image? La photographie est-elle une idole, insulte à Celui qui nous a créés à Son image?

Du côté du style, même s’il aurait mérité plus de sobriété, en livrant des phrases plus courtes et plus sèches, il faut reconnaître que sa beauté est véritable. Il en va de même pour la structure du roman: un peu plus de simplicité n’aurait pas fait de mal aux titres des chapitres. Si l’idée de les nommer par les différentes étapes successives de la liturgie funéraire est excellente, les titres de photos qui les accompagnent entre parenthèses sont, à mon sens, de trop. Néanmoins, Jérôme Ferrari réussit à fournir son chapitrage d’une authentique construction, sans paraître scolaire ni futile. Aussi, le côté compulsif et de l’écriture et de la coupure des chapitres entre dans un contraste stupéfiant avec la lourdeur et la lenteur qui siéent à un enterrement.

Enfin, c’est une ambiance toute particulière qui nous est offerte avec A son image. Alors que le roman ne fait que de brèves allusions à la musique, celle-ci est sous-entendue par un texte qui donne à la Corse toute la fascination qu’elle suscite et le désespoir qu’elle laisse entendre. Comme toutes les îles, confinées à leurs propres côtes, si étroites. On entend en effet les voix tremblotantes et graves des chants corses. Les chants religieux rendent un hommage quelque peu maladroit à la mémoire d’Antonia. Mais pas ce roman, qui dresse un portrait de la photographe à son image, et cela suffit. 

Jérôme Ferrari
A son image
Editions Actes Sud
2018
219 pages

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Loris S. Musumeci pour Le Regard Libre

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