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«Comme un empire dans un empire», un récit des réalités oubliées, à contretemps5 minutes de lecture

par Diana-Alice Ramsauer
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Les bouquins du mardi – Diana-Alice Ramsauer

Un développement sans rebondissement, de longues considérations, un pamphlet sans espoir et un crayon affûté pour dire une réalité malheureusement déjà obsolète. C’est ce que l’on peut dire du cinquième roman d’Alice Zeniter Comme un empire dans un empire. Ce récit sur la lutte collective et le désarroi personnel, sur la politique institutionnelle et le combat clandestin, sur le Parti socialiste français, les Gilets jaunes et le cybermonde aura bien de l’intérêt d’ici une dizaine d’années. En attendant, il sonne tristement faux. A moins qu’il ne serve à nous rappeller brutalement qu’il y avait un monde avant la pandémie.

Comme un empire dans un empire. Le titre fait ouvertement référence à Spinoza. Et la référence est assumée dès la deuxième partie du livre «En vérité, on dirait qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire» (Spinoza, Ethique III) est-il cité en ouverture du chapitre. Si l’ouvrage n’est pas un essai philosophique, les deux personnages principaux de cette fiction reflètent bien les aspirations d’Alice Zeniter à faire passer message.

Tout d’abord, il y a Antoine. Un assistant parlementaire à tendances socialistes. Il se définit comme un rouage parmi d’autres dans cette machine institutionnelle à laquelle il croit… partiellement du moins. «Tant que les institutions sont là, on travaille dedans. Si un jour on parvient à les faire sauter, alors être assistant parlementaire sera obsolète. Je ne vais pas me priver ce qui est possible maintenant au Parlement et attendre que la révolution l’ait fait disparaître», assène-t-il à ses camarades de bar et de lutte, dont «L», fait partie.

We are legion ou le pouvoir collectif

«L» vient d’un autre monde. «Celui du dedans», comme elle dit. Celui d’internet, du hacking, de la lutte clandestine. La politique institutionnelle la dépasse. Mais, elle aussi, comme Antoine, fait partie d’un tout. Une cyberactiviste qui tire sa force d’une multitude d’actions menées en «légion». We are the Anonymous/We are legion. L et Antoine vont se rencontrer et mettre en commun leur désarroi, dans ce contexte (cette «nature», comme dirait Spinoza) qui les influence forcément, qui agit sur eux, qui interagit avec eux. Un environnement qui les affecte, mais avec lequel ils sont obligés de jouer. En sous-texte, on aperçoit alors le thème du pouvoir collectif, de la cause commune, de la puissance nourrie par les autres.

Nous sommes en fin 2018. Et en tant que larbin d’un député socialiste, Antoine se doit d’observer un nouveau corps social disparate s’agréger en France. «Les Gilets jaunes étaient ceux qui avaient accepté de déléguer complètement leur pouvoir de décision aux élus». Des personnes qui tentent donc à cette époque de reprendre le contrôle en refusant de se soustraire à la puissance d’élites/d’élus/de délégués.

Ce 4 décembre 2018…

Un espoir d’une lutte venant du bas naît donc, dans cette léthargie déprimante que vit la gauche française. La liste des revendications est longue, mais une certaine vision du futur est décrite dans cet ouvrage: «Quelque chose avait changé récemment, rapidement, quelque chose qui permettrait d’entendre à présent des politiques affirmer que le capitalisme vert n’était pas la solution à la crise écologique et qu’il fallait changer radicalement la manière de produire et de consommer». Cette insurrection: comme la preuve qu’il est possible de dépasser un déterminisme social en changeant les règles du jeu. Très rapidement, Antoine en est persuadé: «Il faut que quelque chose change».

Le besoin d’un «autrement»: une réalité qui frappera violemment à la porte de L. L qui voit sa vie s’écrouler ce 4 décembre 2018, lorsque son copain, Elias, se fait arrêter pour cyberaction, vol de données ou encore piratages. Cette date se révèle être un point de non-retour. Un moment qui révèle l’importance d’une réflexion sur la protection des données, celle d’un enseignement basique du code pour toutes et tous et la remise en question de «la violence légitime de l’état» dans les sphères d’internet.

 Et pourtant, dans ce livre, rien ne se passe.

Animal crevé et proximité entre fauteuil et meuble à apéro

Avant d’en arriver aux critiques, il faut bien dire qu’il y a un certain nombre de passages qui égaient la lecture. Comme les descriptions des mouvements de corps et de groupes dans les soirées arrosées, entre «bande centrale» et «conversation atomisées» Ou quelques belles sorties sur la vie politique: «le parti [socialiste] est un animal crevé dans le ventre duquel on s’abrite encore, mais ça commence à puer et à refroidir.» Ou encore, ces analyses sociales au travers de l’agencement d’un appartement de classe moyenne inférieure grâce au calcul de «proximité du fauteuil et du meuble à apéro».

A lire aussi: La mélancolie de la vraie gauche

Malgré la beauté de l’observation, le livre n’est pourtant qu’une succession de considérations. «A quoi veut-elle en venir, bon sang», a-t-on envie de crier de plus en plus fort, plus les pages et le temps avancent. La structure narrative est très clairement annoncée. Il y a quatre chapitres. 1er introduction; 2e développement; 3e suspension; 4e dénouement. Un schéma placardé dans l’appartement d’Antoine, qui essaie désespérément d’écrire un livre durant les mois que dure le récit. Mais les quelque 400 pages de Comme un empire dans un empire ne représentent qu’une introduction, voire une ébauche de développement. La suspension n’existe pas. Encore moins le dénouement.

Une belle partition jouée trop tard

Cet enchaînement de tableaux de la société française fera certainement une belle pièce d’archive. Et avec un peu de chance, il deviendra même un roman historique. En attendant, il s’agit simplement d’un récit anachronique. Comme un coup de triangle qui serait tombé juste après la symphonie. Une partition bien jouée qui résonne simplement trop tard. Ou alors une note, trop discrète pour lancer un nouveau concerto. Qu’apporte ce témoignage porté par la plume d’Alice Zeniter, une année et demie après la fin du grand débat?

Le résultat est donc décevant. D’autant que L’Art de perdre, son dernier roman était un chef-d’œuvre. Mais peut-être que ce sentiment d’obsolescence concernant ce livre n’est-il dû qu’au brouhaha incessant des derniers événements sanitaires mondiaux. Et qu’Alice Zeniter, malgré elle, nous rappelle qu’avant le printemps 2020, d’autres problématiques, certainement au moins tout aussi importantes, soulevaient la République et qu’il serait temps de se le rappeler. Serait-il donc le moment d’en parler? GAFAM, protections des données, droits d’auteur, Gilets jaunes, mais aussi Hirak en Algérie et – d’autant plus actuel –  surveillance de l’Etat?

Ecrire à l’auteure: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com

Crédit photo: © Annabel P/Pixabay

Alice Zeniter
Comme un empire dans un empire
Editions Flammarion
2020
400 pages

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