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De Mai 68 à nos jours, Virginie Linhart évoque «L’effet maternel»6 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les bouquins du mardi – Ivan Garcia

Le récit de vie d’une jeune femme, tiraillée entre son étrange relation avec sa mère et les soubresauts de l’histoire contemporaine. L’effet maternel est le témoignage brut et sincère d’une auteure qui, à rebours des idéologies et des morales, est devenue une héroïne du quotidien. 

Le romancier américain Ernest Hemingway avait une étrange conception de l’écriture. «La meilleure chose qui puisse arriver à un écrivain, c’est d’avoir une enfance malheureuse», disait-il. Bon nombre d’écrivains adhéreront sans broncher à cette idée. Jusqu’il y a quelques années, Mai 68 était considéré par la société progressiste au sens large comme le summum du bonheur et de la liberté. Comme un Eden perdu qui aurait été détruit. Mais depuis le Grand Soir, des épisodes tels que le mouvement #MeToo ou l’affaire Matzneff sont apparus et des personnes victimes d’abus se sont exprimées. A se demander si Mai 68 était si heureux que ça… Un ouvrage écrit par une native de cette décennie donne au lectorat l’occasion de se faire un avis sur la question. Mais celle-ci a plutôt écrit sur son «adulescence malheureuse».

Un témoignage sur une famille éclatée

En janvier dernier, les Editions Flammarion ont publié L’effet maternel de Virginie Linhart. Ecrivaine et réalisatrice, celle-ci signe un récit de vie à la première personne où la frontière entre la narratrice et elle-même s’estompe complètement. L’auteure y évoque sa relation tumultueuse avec sa mère, féministe engagée et militante du MLF. Cette dernière, femme très libre de mœurs, considère sa fille (presque) comme une amie et souvent en tant que rivale. Virginie Linhart souligne le paradoxe de cette femme libérée qui restreint drastiquement, à coup de chantage affectif et d’interdits, la vie de sa fille, parce qu’elle lui rappelle sa vieillesse et éveille le désir des hommes… Leur relation est étrangement définie, la mère refusant toutes les obligations, allant même jusqu’à se marier et adopter pour s’essayer à une «nouvelle» maternité. Et puis, comme celle-ci ne fait pas les choses à moitié, elle gratifie sa fille de paroles assassines…  

«“Tu n’avais qu’à avorter: il n’en voulait pas, de cette gosse!” Ce sont peut-être ces mots, prononcés un matin d’été par ma mère qui ont déclenché ce récit. Cette gosse, ma fille donc, sa petite-fille par conséquent, dont nous venions de fêter les dix-sept ans. Que nous est-il arrivé? Que s’est-il passé entre nous pour qu’elle soit capable de prononcer une telle phrase? J’ai pensé que tant que je n’aurais pas trouvé, je ne pourrais pas revoir ma mère.»

A partir de cette épigraphe, le récit se construit sur le témoignage de Virginie et les déductions qu’elle en tire. Le témoignage se double d’une enquête sur la famille de l’auteure qui entremêle son histoire personnelle et celle de ses prédécesseurs avec les grands événements historiques du XXe siècles tels que la Shoah et Mai 68. De l’adolescente qui entend sa mère jouir bruyamment dans la pièce d’à côté à la femme confrontée à l’avortement et à l’enfer de la maternité solitaire, Virginie Linhart nous entraîne dans une existence chavirée, résultat d’une absence de repères due à une famille déstructurée. Entre séances de psychanalyse, maladie, amours ratées et autres catastrophes, elle «en prend plein la gueule» pour l’écrire vulgairement. Le récit est dur, voire cruel, sans jamais tomber dans l’apitoiement victimaire ou la dichotomie réductionniste «oppresseur – oppressé».

Si la figure de la mère est omniprésente dans le livre – que cela soit entre la narratrice et sa mère ou entre la protagoniste et sa fille Lune –, il est également question de la figure paternelle et pas de n’importe laquelle. Linhart. Dans l’histoire ou la littérature françaises, ce nom occupe une certaine place. Robert Linhart, le père de Virginie, était le fondateur et leader de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJCml). Le «youpin marxiste», comme le surnommait le grand-père de l’auteure, a offert au lectorat L’Etabli, un ouvrage publié en 1960 aux Editions de Minuit. Un récit autobiographique au sein duquel le jeune révolutionnaire décrit son quotidien en tant qu’ouvrier à l’usine Citroën. Mais, alors que Mai 68 battait son plein, l’homme est tombé grièvement malade jusqu’à devenir un légume. Une sombre trajectoire qui hante sa fille qui a peur de suivre la même pente.

Les temps ont changé

L’auteure se demande comment échapper à «L’effet maternel», à ce malheur qui semble génétiquement transmissible. Pour comprendre cela, elle enquête sur les origines du malheur familial comme le ferait un Edouard Louis ou une Annie Ernaux, mais avec une plus grande place laissée à l’intériorité et à la psychologie. A la croisée des chemins entre l’histoire et sa famille, elle trouvera la réponse en réfléchissant sur cette époque singulière où l’exigence de liberté a dévoré tout repère.

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L’effet maternel explore la marge d’interprétation laissée à chacun par rapport à un dogme et à son époque. Ainsi, on trouve au fil du récit des anciens soixante-huitards reconvertis en réac’ capitalistes ou encore des féministes devenues garantes d’une nouvelle morale. Un cas particulièrement relevant est celui de l’avortement, mis en avant lors d’un dîner entre Virginie et son amant E. Attendant des jumeaux d’E., la narratrice essaie de le convaincre de garder les enfants alors qu’E., s’appuyant sur sa propre interprétation des théories féministes, souhaite qu’elle avorte:

«Nous sommes les enfants de mères féministes qui se sont battues dans les années 1970 pour disposer de leur corps librement, pour choisir d’avoir un enfant si elles le voulaient, pour vivre leur sexualité comme elles le souhaitaient. De ces luttes, de ces slogans, de ces manifestations dont nous avons été les témoins, nous avons tiré des enseignements diamétralement opposés. A ses yeux, l’avortement est un acte banal, pratique, sans autre conséquence qu’un peu de temps perdu pour m’accompagner et venir me chercher, car, précise-t-il, “Ne t’inquiète pas, je serai avec toi”. Pour moi, attendre un enfant, des enfants en l’occurrence, c’est être dans la droite ligne de cette liberté que nos mères revendiquaient.»

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L’ouvrage donne à lire une part sombre et méconnue du «phénomène Mai 68» où la liberté excessive a entraîné bien des dérives. Un récit cru sans être vulgaire qui interpelle. Peut-on être une femme libre et, en même temps, être une mère heureuse qui ne reproduit pas les erreurs du passé? Avec L’effet maternel, Virginie Linhart répond par l’affirmative.

Ecrire à lauteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédit photo: © Jude Beck

Virginie Linhard
L’effet maternel
Editions Flammarion
2020
214 pages

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