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«Football Factory», une radiographie du hooliganisme8 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les bouquins du mardi – Ivan Garcia

Avec Football Factory, le romancier anglais John King explore le quotidien d’une bande de hooligans. Une sortie footballistique appréciée et qui permet d’explorer les côtés cachés de la société britannique.

Chez Au Diable Vauvert, maison d’édition indépendante, on a le souci de la couverture, toujours très animée, très tape-à-l’œil pour attirer le chaland. L’auteur de ses lignes l’avoue, il est bon public et curieux. Alors quand il a reçu un livre avec, en guise de couverture, le lion de Stamford Bridge, emblème du FC Chelsea, il a haussé les sourcils. Qu’est-ce que cet étrange ovni? Football Factory, tel est le titre du livre. Son auteur? Un certain John King. Inconnu du rédacteur jusqu’à présent. Un livre qui se lit avec intérêt ou, tout du moins, avec une bonne dose de curiosité pour ce fait de société qu’est le hooliganisme – un peu éclipsé ces derniers temps par les «gilets jaunes» et les black blocs. Cap sur l’Angleterre donc, pour parler de bastons, de bière, de sexe et d’un style de vie aux antipodes du «Peace and love».

Des pintes et du foot

Tom Johnson – son nom complet n’est connu qu’assez tard dans le récit – est employé dans un entrepôt où il se casse le dos, chaque semaine, pour gagner sa croûte. Mais cela lui convient, car le week-end et autres jours de match, Tom troque ses habits d’employé silencieux contre les emblèmes de Chelsea. Pour dégager la mauvaise énergie accumulée au travail, les humiliations et leur rage de vivre, Tom et sa bande de potes boivent des pintes au pub, assistent au match, draguent des nanas et écument les rues pour castagner les supporters de l’équipe adverse.

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Dans la bande de Tom, il y a Rod, un ami d’enfance, hooligan marié qui trompe souvent sa femme Mandy. Il y a aussi « Black Paul», un «nègre de Chelsea» qui travaille sur les chantiers – bien accueilli dans ce milieu a priori raciste – et qui cogne fort ; Mark, ami d’enfance de Tom et qui est un peu con ; Harris, hooligan qui joue au chauffeur de bus pour emmener les fans de Chelsea voir un match à Newcastle… Au fil du récit, le lecteur suit leurs aventures et déconvenues. On assiste ainsi à un souper dans un restaurant indien où l’équipe tente de draguer un groupe de filles, à l’arrestation de Tom et à son passage en garde-à-vue, à une baston épique dans les rues de Millwall – à la suite de quoi Tom se retrouvera à l’hôpital…

Tu croises des mecs, le temps d’un match, et tu ne les connais que sous un certain angle. Ensuite, ils se fondent dans la vie de tous les jours. Ils ne se baladent pas avec une pancarte accrochée autour du cou, histoire d’annoncer à tout le monde que ce sont des hooligans, ou quoi que ce soit d’autre. Ils ont leur boulot, leurs histoires d’amour, même si ça ne veut pas dire que ce sont des saints. Le foot, ce n’est qu’un point de rencontre, une manière de canaliser les trucs. Si le foot n’existait pas, on trouverait autre chose.

En parallèle à l’histoire de Tom et sa bande, le récit suit d’autres personnages secondaires pour dépeindre les petites gens de la société anglaise contemporaine, telle Doreen, femme pieuse qui travaille dans un Lavomatic, ou Vince Matthews, supporteur de l’équipe d’Angleterre qui effectue un voyage en Espagne pour soutenir son équipe, ou encore Mr. Farrell, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a perdu sa femme et croit qu’elle est toujours vivante… Tous ces personnages sont subtilement connectés entre eux. On découvre ainsi que Doreen est la mère de Steve, le cousin fou de Mark, que Mr. Farrell est le grand-père de Vince Matthews et ainsi de suite.

Un portrait corrosif de l’Angleterre

Le récit de Tom est écrit à la première personne: les choses nous sont donc décrites de son point de vue. Celui d’un homme qui a trouvé en la violence et le foot un antidote pour (sur)vivre dans une société pourrie. Très sceptique et cynique face à la société anglaise, Tom déteste la politique et les médias. D’ailleurs, la plupart de ses actions hooligans doivent être précisément orchestrées pour éviter les caméras et les flics. Les chapitres qui concernent Tom et sa bande sont souvent intitulés en fonction des clubs contre lesquels Chelsea va jouer («Coventry, à domicile», «West Ham», «A Millwall»…). Alors que des chapitres retraçant l’existence d’autres personnages sont titrés avec une certaine ironie comme le chapitre sur Doreen qui s’intitule «Doux Jésus», ou encore celui retraçant le périple hispanique de Vince et titré «La course de taureaux».

J’imagine que plus on vieillit, plus on devient cynique et désabusé. L’Angleterre a beaucoup changé depuis l’époque où j’étais môme. […] parce que, quand j’étais môme, il y avait toujours quelques bagarres, des trucs comme ça, et ça pétait régulièrement dans les stades mêmes, tandis qu’aujourd’hui que tout est réprimé et que de plus en plus de gens restent scotchés devant leur télé et leurs jeux vidéo, la seule chose à faire, c’est d’avoir du pognon et de faire ce qui se fait. D’avoir l’air convenable. Enfin, c’est ce qu’on veut nous faire croire.

Parfois on se demande si l’écrivain n’en fait pas trop, s’il n’est pas vulgairement gratuit, comme lorsqu’il décrit la scène où la bande soupe au restaurant indien ou encore lorsqu’il livre des analyses politiques et sociétales – du point de vue des «vrais» travailleurs et des hooligans. A titre d’exemple, la rencontre entre Billy Bright (alias «numéro 46»), un chômeur néonazi, et Michelle Watson, une «socialiste radicale élevée dans le Hampshire profond, mais vivant à présent – et vivant bien – à Londres» qui le méprise et aimerait libérer les Noirs de l’oppression des Blancs et contribuer ainsi à «renverser les barrières du capitalisme blanc et de l’oppression raciste».

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L’écrivain nous dévoile une société anglaise fracturée et qui fait peu fi des personnes contribuant réellement à la grandeur du pays. En arrière-fond, on trouve toujours la question guerrière, différents personnages racontant quelques anecdotes sur un ami ou un proche qui a participé à tel conflit. Des personnages à l’instar de Michelle Watson ou de Chrissie, une riche bourgeoise draguée par Tom, sont rares et présentés comme un monde à part et déconnecté de la réalité des travailleurs, voire comme des personnes qui méprisent les petites gens. Le sujet du roman, c’est donc bien les oubliés. Et les outsiders de la prospérité anglaise, en somme.

La femme avait tout d’une trotskyste, avec ses lunettes et son teint pâle, ses cheveux longs et mal soignés et ses doigts tachés de nicotine; le genre de cave qui débarquait sur son territoire pour faire ce qu’ils appelaient de la discrimination positive, au bénéfice de toutes les minorités possibles et imaginables. Ces gens-là parlaient des travailleurs sans avoir la moindre idée de ce que c’était, d’être un travailleur. Enfin, il se trompait peut-être, mais il ne croyait pas.

Au bonheur de la castagne

La grande réussite du roman est la description minutieuse des scènes de batailles entre hooligans. On pense notamment à la chasse à laquelle se livrent les deux bandes (celle de Chelsea et celle de Millwall) qui aboutit à une grande confrontation dans un parc à jeux. La traque tient le lecteur en haleine. Football Factory est paru – en version originale – en 1996, avant de parvenir en France en 1998, puis en 2004 aux Editions de L’Olivier et d’être réédité en 2020 chez Au Diable Vauvert. Autant dire que les réalités que ce roman décrit sont magnifiquement actuelles.

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La lecture de Football Factory[1] évoque le film – désormais un classique – Green Street Hooligans. Autant dire qu’on ne s’ennuie pas en suivant les aventures de Tom et sa bande et que c’est là l’occasion rêvée de découvrir le quotidien des classes laborieuses anglaises, ainsi que cette curiosité, voire fascination, qu’exercent le milieu hooligan et la violence à un moment de l’histoire où tout est ultra sécurisé et aucune grande aventure n’est permise…

Nous trois, on a choisi notre route, on a de l’argent dans la poche. On a de bons potes, une famille unie, et on ne se retrouve pas comme des cloches quand on veut une nana. On se marre bien. On doit être comme les nègres, d’une certaine façon. Des nègres blancs. Des pauvres Blancs. De la merde blanche. Nous sommes une minorité, parce que nous sommes soudés. Peu nombreux. Fidèles, loyaux. Le foot nous donne quelque chose en plus.

[1] En 2004, le roman a été adapté au cinéma par le réalisateur Nick Love en conservant le titre original du récit Football Factory.

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Crédit photo: © Wolfried Paetzold / Wikimedia CC 3.0

John King
Football Factory
Traduction d’Alain Defossé
Au Diable Vauvert
2020
528 pages

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