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Le karaté d’Harry Crews, un «kiai déjanté»!4 minutes de lecture

par Ivan Garcia
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Les bouquins du mardi – Ivan Garcia

Un vagabond solitaire, équipé de son pull William Faulkner, fait la rencontre d’une belle karatéka sur une plage de Floride. Attiré par cette beauté fatale, le protagoniste s’engage alors dans une étrange communauté de karatékas, vivant et s’entraînant dans un motel désaffecté, sous la conduite d’un mystérieux Sensei nommé Belt. Entre cours de karaté, pilules gastronomiques, sexualité bestiale, fatalité et concours de beauté, Le karaté est un état d’esprit est une épopée déjantée et violente à l’attention des incompris et des marginaux.

Quatrième roman d’Harry Crews, initialement paru en 1971, Le karaté est un état d’esprit a été traduit en 2019 par Patrick Raynal, aux Sonatine Editions. Ce dernier, journaliste, écrivain et traducteur expérimenté de l’œuvre d’Harry Crews, livre une belle traduction de cet ouvrage en restituant la drôle de narration du romancier et ses bizarreries chronologiques. Avec ce magnifique roman, nous découvrons donc les tribulations d’un jeune vagabond à la recherche du calme… que procurent l’amour et le karaté. 

«Kiai!»

Sur une plage de Floride, un jeune homme, nommé John Kaimon, se réveille. Rapidement abordé par un couple d’homosexuels, Georges et Marvin, le protagoniste leur explique qu’il a beaucoup voyagé et vécu de drôles de choses. Pendant qu’il discute avec ce couple, il aperçoit une bande de karatékas dont une jeune femme, belle et douée, qui met au tapis l’un des hommes. En aventurier solitaire ne sachant où aller, John Kaimon se décide à suivre ce groupe d’hurluberlus pour trouver un sens à sa vie. C’est ainsi qu’il fait bientôt la connaissance de la ravissante Gaye Nell Odell, reine de beauté et arme fatale, de Lazarus, un ancien employé d’une compagnie d’assurances devenu karatéka et videur de boîte de nuit, et de l’énigmatique Belt, vétéran de la guerre de Corée et professeur de karaté. De malheurs en aventures, Kaimon finira par se débarrasser de ses démons et trouver l’équilibre tant recherché, grâce aux enseignements de Belt et… surtout entre les bras de Gaye.

«Un sacré morceau, cette fille, dit le jeune homme.
– Mais pas commode, compléta l’homme.
– Tu la connais?
– Elle était Miss Torch de Floride du Sud l’an passé.
– Mais ça, intervint celui aux sourcils dorés, c’était avant qu’elle n’abandonne tout pour le calme.
– Elle pourrait tout à fait me calmer, reprit le jeune homme.
– Laisse tomber. C’est une arme.»

Le lieu de résidence de cette communauté de combattants? Un motel désaffecté, le Sun’N Fun Motel, où chaque jour les élèves reçoivent leurs leçons et enseignent the way of the fist dans une piscine délabrée. Au rythme des nombreux kiai (le cri de combat utilisé au sein des arts martiaux), John Kaimon s’adonne au frappé de planches makiwara et aux nombreux kumite organisés par Belt. Son but? Devenir plus fort et, du haut de sa ceinture blanche, toucher le cœur de sa belle Gaye alias ceinture marron.

Une narration étrange

La particularité de ce roman (et de sa traduction française) réside dans une étrange narration qui alterne entre épisodes présents et passés, ce qui nous amène à questionner la santé mentale du protagoniste. En effet, John Kaimon semble parfois réécrire les faits dans la narration, comme pour induire le lecteur en erreur. 

Un exemple venant mettre en doute la véracité des propos du personnage-narrateur est celui où le lecteur croît que Gaye lui a foulé les mains – nous ressentons alors de l’empathie pour le pauvre personnage – et, quelques pages plus loin, suite à une analepse, nous apprenons que Kaimon s’est blessé en cognant sur des planches makiwara.  

John Kaimon est un personnage intrigant. Vagabond et marginal, nous apprenons que celui-ci a perdu sa mère, tuée par un camion de poulets, lorsqu’il était enfant et que son père en est devenu fou, faits qui ont probablement altéré sa vision du monde. Originaire du Mississipi, comme son idole William Faulkner, Kaimon semble avoir vécu dans différentes communautés hippies ou soixante-huitardes qui ont fini par le désillusionner. Au final, le lecteur ne sait pas vraiment si, comme le prétend le protagoniste, il s’est fait violer par des motards néonazis et/ou par Georges et Marvin ou non… Assurément, on rit de ces décalages et on prend le personnage pour un drôle d’oiseau, même s’il reste très attachant.

Sous le regard des icônes

Une chose frappante à la lecture de l’œuvre est la présence d’icônes venant se juxtaposer à certains personnages, notamment au protagoniste. Cela est visible par les nombreuses récurrences et références à l’écrivain William Faulkner, même si nous apprenons qu’en réalité il n’a pas beaucoup lu de cet auteur. Prix Nobel de littérature en 1949, Faulkner impressionne le protagoniste qui en fait plusieurs fois l’éloge, car ils viennent tous deux d’Oxford dans le Mississipi :

«Avez-vous déjà songé à vous asseoir avec un crayon et à recopier un livre?  […] Belt cligna de l’œil. ”Non, dit-il. Jamais.” […] ”Je l’ai fait, dit John Kaimon. Un jour, j’ai acheté un bloc-notes et un crayon. J’ai copié les vingt premières pages d’un livre appelé Le Bruit et la Fureur, et j’ai vu que c’était impossible.”»

Ce quatrième roman d’Harry Crews s’avère un fort moment de littérature en compagnie d’un protagoniste un peu timbré mais très drôle. La thématique du karaté, cœur névralgique de l’œuvre, donne à ce récit des allures de Karate Kid qui plaisent et nous font cogiter sur les arts martiaux en tant que philosophies de vie et de communautés. Le karaté est un état d’esprit s’avère un livre excitant et enthousiasmant sur des gens un peu déjantés, comme vous et moi, qui ont franchi le pas et sont placés, le temps d’un roman, sous le feu des projecteurs.

Crédits photo: © Ivan Garcia

Ecrire à l’auteur: ivan.garcia@leregardlibre.com

Harry Crews
Le karaté est un état d’esprit
Editions Sonatine

2019
240 pages

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