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«Le Sang», extrait n° 73 minutes de lecture

par Sébastien Oreiller
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Le Regard Libre N° 31 – Sébastien Oreiller

Chapitre II: Arrivée du fils (suite)

Ils étaient deux. Il y avait le fils et son ami. Ils entrèrent dans la grand’salle, brillants de poussière et d’éclat, en uniformes entre les portraits des ancêtres. L’un était grand et blond, avec les mêmes reflets marins que sa mère, et dans le regard la même arrogance froide; l’autre plus petit et plus maigre, longs cheveux noirs et teint d’olive, qu’il gardait loin du soleil. Pas d’arrogance dans le regard, mais de la malice dans le sourire.

Ils avaient dû les attendre longtemps. Les filles, lassées, s’en étaient allées, et avaient déserté les lieux, subsidiaires à l’ombre de leur frère, ce frère qu’elles n’aimaient pas, et leur vision mouvante se confondait avec l’image de quelque aïeule sur la paroi, comme elles squelettique et vaporeuse. Le soleil tapant de l’extérieur avait plongé la grand’salle dans la pénombre; on ne discernait plus les visages contre les murs. Seule la moiteur ruisselante qui perlait au bout des longs voiles blancs et des mains, humidité des vieilles demeures ou des chapelles, conservait aux corps leur réalité naturelle et pourtant volatile. Il allait prendre froid.

Ils venaient d’arriver; ils avaient fait bon voyage. Chaud et long. Il embrassa sa mère, elle salua l’ami, qu’elle connaissait déjà. Ils voulaient se rincer, se changer, et boire quelque chose. Il y avait un tonneau de vin à la cave. Il en monterait une bouteille. C’était le nouveau jardinier, qui faisait aussi homme à tout faire. Le fils le dévisagea. En attendant de savoir tout faire, il irait plutôt au village leur chercher un petit tonneau de bière ; ils n’avaient pas envie de vin. Non, monter une bassine d’eau avec du savon, c’était plus urgent. Merci. Leurs regards ne se croisèrent pas. Ils sortirent. Il ravala sa salive. Lui, il n’avait pas voulu être présent, mais elle l’y avait contraint. Elle voulait tellement qu’il rencontrât son fils. Et maintenant, il apprenait qu’il était domestique.

L’ami s’assit au bas du lit, aux pieds du fils qui y était couché, en train de remonter sa montre. Il se laissa rebondir plusieurs fois, comme pour en tester le matelas, et ôta sa chemise. L’homme à tout faire détourna le regard; il ne voulait pas voir cette vilaine peau pâle, piquée de grains de beauté noirs. Quelques poils çà et là. Sale. Il avait honte; ils n’avaient pas remarqué qu’elle avait fait les lits pour eux, et veillé à ce qu’ils sentent bon.

Il posa la bassine sur un guéridon à côté d’eux. L’ami prit le savon, l’inspecta, et le tendit par-dessus le visage de l’autre, pour qu’il le sentît. Petit rire d’amusement, de cruauté, parce que ça sentait la lavande et les petits soins maternels. Il le reposa. Dégoûtant. Chez lui, il n’y avait pas de savon, mais sa mère aurait bien aimé; on se lavait à l’eau et on frottait bien. L’ami eut envie d’une cigarette et se l’alluma, sous le regard amusé de l’autre. Il leva les yeux et le fixa. Cela le mit à la l’aise. «Besoin de quelque chose d’autre?» Non, il pouvait disposer. Si, en fait. Le fils s’alluma une cigarette à son tour. Sa mère lui avait écrit. Il avait cru comprendre qu’elle s’était prise de sympathie pour lui. Tant mieux. Ils lui devaient bien ça, après la vie infernale que son père avait infligée au sien, quand celui-ci travaillait chez eux. L’ami sourit. D’ailleurs, le fils se souvenait de lui, quand il était enfant; ils jouaient ensemble. A présent, ils seraient à nouveau amis.

Crédit photo: © valais.ch

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