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Accueil » L’éternel retour des romans

L’éternel retour des romans5 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Les bouquins du mardi – Edition spéciale «Les coronarétrospectives de la littérature» – Jonas Follonier

Plonger ou se replonger dans L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera, c’est ouvrir ses horizons, s’approcher du fondamental, oxygéner son esprit et comprendre qui nous sommes. Ce roman-monument est notamment traversé par le thème de l’éternel retour. Si notre vie est si légère et donc si insoutenable, c’est parce que nous savons que rien de ce que nous faisons ne reviendra. Or, le roman échapperait-il justement à la règle? Petite réflexion sur les livres à l’aune d’un des meilleurs d’entre eux.

Chez Kundera, tout est insoutenable. Autant la gravité que la légèreté. C’est, entre autres thèmes, ce que l’auteur cherche à exprimer dans L’insoutenable légèreté de l’être. Ce roman, publié en 1984 et traduit du tchèque par François Kérel, s’ouvre d’emblée sur la question de «l’éternel retour» formulé par Nietzsche. Notre vie est marquée par la fugacité de tout: le «bonjour» offert à la boulangère du coin ce matin, cette matinée elle-même, la jeunesse et l’amour – c’est bien connu. C’est la définition même de l’instant: il ne reviendra jamais. Jamais! Faire des erreurs peut donc sembler anodin: celles-ci appartiennent au passé sitôt qu’elles sont commises. Et de manière générale, quelle importance peuvent avoir nos actions, si elles s’écoulent comme l’eau du fleuve?

«On ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car on n’a qu’une vie et on ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. […] Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même?»

Le narrateur kundérien – le vrai et seul personnage de ses romans, les autres étant des marionnettes philosophiques – se demande alors ce que serait un monde qui se définirait par l’éternel recommencement. L’inverse, donc, de l’univers tel que nous le connaissons. Si tous les événements étaient voués à l’éternel retour, ils prendraient alors une signification folle. Dans le domaine de l’action humaine, il faudrait se gaffer en permanence. Agir comme un acteur de cinéma dans un film destiné à passer en boucle. C’est ce que Kundera appelle la gravité. Gravité qui est en réalité tout autant insoutenable que la légèreté. La preuve en mots:

«Si chaque seconde de notre vie doit se répéter un nombre infini de fois, nous sommes cloués à l’éternité comme Jésus-Christ à la croix. Quelle atroce idée! Dans le monde de l’éternel retour, chaque geste porte le poids d’une insoutenable responsabilité.»

Et c’est alors qu’entre en scène le si talentueux romancier. La première habileté de Kundera: faire le lien entre ses réflexions et son récit. Car trêve de théorie, les personnages se chargent de la suite du roman pour donner corps à l’intuition philosophique annoncée par le narrateur au début du livre. Le lecteur suit ainsi la vie de Tomas, de Tereza, de Franz, de Sabina, en entrant dans leurs points de vue respectifs au fil des chapitres. Les faits racontés sont si banals et si nombreux, et la pensée sous-jacente si dense, qu’il serait impossible d’en offrir un résumé ou un commentaire satisfaisant. C’est pourquoi notre attention peut se tourner sur l’application de l’interrogation de Kundera au roman en lui-même: n’est-ce pas l’art, et en particulier le roman, qui est capable de nous offrir une gravité soutenable?

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Si les romans offrent une postérité relative à leurs créateurs, ils ont dans leur essence quelque chose de plus profond et, après tout, de plus intéressant: transcendant la légèreté du monde, ils nous offrent une éternité à nous aussi. Puisque lorsque l’on lit un roman, ce roman nous lit aussi – c’est la définition de George Steiner du «classique» en littérature – c’est bien parce qu’il donne du sens, comprenons par là de l’importance, au monde, à nos actes, à nos vies. La simple matérialisation de mots couchés sur du papier est le contraire même de ce que nous expérimentons tous les jours. C’est une immortalité en puissance, c’est un ordre donné aux choses. Comme toujours, la création artistique rejoint la Création du monde. Déjà rien que pour ce simple enseignement, L’insoutenable légèreté de l’être est un ouvrage vers lequel revenir éternellement.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: © Jonas Follonier pour Le Regard Libre

Milan Kundera
L’insoutenable légèreté de l’être
Editions Gallimard
1984
400 pages

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