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«Noces»: pour ne pas renoncer à la beauté du monde6 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Quatre lieux, quatre explorations, quatre textes qui célèbrent les noces d’Albert Camus avec des environnements qu’il aime. Ecrits entre 1936 et 1937, ces quatre essais lyriques annoncent qu’un jeune homme d’un peu plus de vingt ans a déjà trouvé les sources d’un bonheur simple, mais d’un bonheur vrai. Et exaltant. Entre descriptions sensitives et sensuelles, méditations et souvenirs d’une jeunesse en cours, les éléments essentiels à l’œuvre d’un Camus en construction surgissent déjà. Ils l’accompagneront jusqu’au Premier homme, resté inachevé. Noces est en ce sens une célébration de l’auteur, une célébration de lecture, une célébration de la beauté de son monde. 

Noces à Tipasa

«Je comprends ici ce qu’on appelle  gloire: le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde. Etreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.»

Tipasa se trouve à l’ouest d’Alger. Site archéologique romain, la ville offre à la fois le témoignage d’une grandeur passée et d’une beauté présente dans ses ruines et son paysage. Camus s’est rendu dans ce lieu imbibé d’histoire ancienne et antique avec une jeune femme pendant une journée. Sa description à ceci de puissant qu’elle se laisse raconter sous l’influence des méditations de l’auteur et des sens qui l’habitent.

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Camus se trouve face à un mythe, il ressent la présence des dieux, qui s’expriment à travers les sens car «les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes.» Au milieu des ruines, il est en réalité entouré d’un trop-plein de vie. Tipasa le berce dans la plénitude, offrant le loisir de divagations oniriques comme celui des éléments les plus concrets, comme sentir le parfum des arbres, le sable sous les pieds, les vagues d’une mer calme et légèrement mousseuse et la compagnie d’une femme, aboutissement suprême de ce lieu, qui invite à exprimer un amour sans mesure.

Le vent à Djémila

«Et jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde. Oui, je suis présent. Et ce qui me frappe à ce moment, c’est que je ne peux aller plus loin.»

Djémila, autre site des vestiges d’une cité romaine. Mais à l’est d’Alger cette fois, sur une colline, plus proche du désert que de la mer. La visite de Camus dure un jour, comme à Tipasa. Alors que Tipasa offrait à l’auteur le sentiment réel de plénitude, Djémila le met face à un dépouillement violent. A Tipasa, le soleil caresse la peau; à Djémila il la brûle. A Tipasa, le vent susurre des mots d’amour; à Djémila il crie la mort. A Tipasa, les ruines témoigne d’une grandeur passée; à Djémila, elles se moquent d’une civilisation qui s’est effondrée.

Djémila exprime le tragique de la condition du monde. L’homme est perdu face à la violence du vent, qui le pousse tout droit vers la mort. Seulement dans cette condition, l’homme peut prendre le temps de se détacher de lui-même, totalement dépouillé, pour prendre conscience de sa fragilité et de sa vulnérabilité. A bas l’illusion. C’est dans la mesure où l’on a conscience de sa finitude que l’on vit pleinement.

L’été à Alger

«Sentir ses liens avec une terre, son amour pour quelques hommes, qu’il est toujours un lieu où le cœur trouvera son accord, voici déjà beaucoup de certitudes pour une seule vie d’homme.»

Parmi les quatre textes, L’été à Alger est le plus autobiographique. Le plus intime à Camus. Ce sont certes ses sens et ses pensées qui s’expriment dans les deux premiers textes, mais là l’auteur raconte une ville, un peuple, son peuple, il se raconte lui-même vivant dans cette ville. A travers ce portrait d’Alger, on découvre un univers où la nostalgie et les prévisions n’existent pas. Les Algérois vivent au jour le jour, passant du travail au cinéma, jusqu’à la mer. La vie à Alger est légère. Avec ou sans le sou, chacun y trouve son royaume, c’est d’ailleurs un jeune homme pauvre qui l’écrit. Le bonheur y est simple. Le présent, si orgueilleux, qu’il se prend pour le seul moment qui vaut la peine d’être vécu. Camus grandit dans cette ville où, malgré les tourments, son cœur trouvera toujours son accord.

Le désert

«Mais qu’est-ce le bonheur sinon le simple accord entre un être et l’existence qu’il mène?»  

De l’Algérie, on passe à l’Italie, notamment à la Toscane. Camus est parti en voyage à Florence. C’est néanmoins un portrait général de l’Italie qu’il peint. Une Italie dans son italianità et dans ce qu’elle a de plus universel. En dépit de ses descriptions de peintures et de paysages, Le désert demeure le texte le plus abstrait du recueil. On a même l’impression que Camus erre dans ce désert qui n’en est pas un.

Entouré d’une abondance artistique et végétale, l’auteur découvre avec l’Italie dont il s’éprend un désert intérieur. Un grand fossé, un fossé absurde mais bien réel, entre la beauté du monde et la mort. Comme dans Le vent à Djémila, la désillusion est centrale. Guetté par la mort et la fin, l’homme trouve son bonheur dans l’accord à l’existence qu’il mène. Une existence qui, pour Camus, ne renonce à la beauté d’aucune œuvre d’art, d’aucune œuvre de la nature, d’aucune œuvre du plaisir, bien que ces jouissances soient éphémères et que tout passe. Ce conditionnement, il faut l’accepter, sans s’y résigner. Pour que les noces se renouvellent sans cesse, pour que l’amour soit toujours neuf, toujours frais, toujours jeune.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Vous venez de lire un article tiré de notre série spéciale «Les coronarétrospectives de la littérature».

Noces suivi de L’été
Albert Camus 
Editions Gallimard
2007
183 pages

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