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Quand Ramuz, gamin, s’enivrait à Yvorne4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Les bouquins du mardi – La rétrospective – Jonas Follonier

Nayant guère d’intérêt pour lœuvre de Ramuz, puisquelle ma toujours ennuyé quand je my suis frotté, jai choisi de mettre en péril mes vues en prenant sur moi le moindre effort de lire un de ses tout petits textes, Vendanges. Réédité cette année par les Editions de l’Aire, parmi dautres écrits ramuziens, ce récit ma étonnamment enivré. Comme le vin enivra lenfant Ramuz et comme le souvenir de ce temps lenivra à lâge de quarante-neuf ans.

Au moment d’écrire Vendanges, Charles Ferdinand Ramuz a presque la cinquantaine. Sans doute voit-il dans le souvenir des vendanges une occasion de saisir la réalité de ce qui fut, l’espace d’une enfance, un temps heureux. Alors le Vaudois nous raconte ce qui était non seulement un événement, mais bien un phénomène. Les vendanges. Les vendanges, telles que vécues par un enfant, les pieds sur terre, ainsi qu’il se doit, mais rêvant de ciel. Cette activité viticole commune le lui a offert, le ciel. Comme une métaphore de l’évasion.

Mais cessons tout de suite les vagues invocations vaporeuses du commentaire littéraire. Ce microroman de Ramuz m’a aussi plu par son ancrage géographique bien précis: Yvorne. Yvorne la belle, ce village que je vois dans mon train quand je voyage du Valais au canton de Vaud et dont je me dis que ce pourrait bien être, au même titre que Saint-Pierre-de-Clages, un endroit pour vivre. Yvorne la bonne, ce vin blanc que je bois dans mon verre sans m’en lasser. Mais qui avait, selon Ramuz (ou plutôt d’après ce qu’il sait être une divagation nostalgique), une couleur bien différente jadis:

«L’Yvorne de l’ancien temps était comme du soleil, il était couleur de bouton d’or, couleur de fleur de pissenlit; ce n’était pas du vin fait seulement avec la pulpe du raisin, mais avec la gousse, c’est-à-dire que c’était du vin “complet” et donc du vrai vin.»

Vendanges a un clair parfum de «c’était mieux avant». Mais cet élément qui chez Ramuz se manifeste souvent comme un défaut prend ici des airs intéressants, parce que liés au thème de l’enfance. C’était forcément mieux, quand on mangeait des raves – la nourriture traditionnelle des vendanges – et que tout avait un sens. C’était forcément mieux quand rien n’existait que le simple et le beau. Le rude, mais le bon. «On vivait comme dans la Bible», ose ce satané Ramuz au début d’un chapitre. C’est sans doute la phrase la plus touchante de cet ouvrage. COMME: la comparaison, l’image. La BIBLE: le transcendant, le sacré. Inversons donc: est sacré ce qui est une image.

Cette phrase d’apparence si anodine – comme elle aurait tellement pu l’être chez Ramuz – résume tout le bouquin. Celui-ci peut être compris comme une ode poétique à la littérature. Est sacré ce qui est symbole: voilà ce que nous dit Ramuz au plus profond de son propos. Vive la métaphore! Vive l’évasion offerte par l’institution des vendanges pour l’enfant qu’il fut; vive l’art littéraire qui lui permet quarante ans plus tard de la célébrer. Vive la mémoire, en d’autres termes. Tout événement étant amené à être un souvenir et donc un absolu. Une illusion, autrement dit. Une ivresse faite de vin ou de mots. Quand sonne l’heure du rappel, tout est si ordonné, tout est si juste.

«Hommes, femmes, enfants, maîtres, serviteurs et servantes, vendangeuses, brantards, charretiers, pressureurs: personne qui ne fût là, pour cette fête de la fin, et tous ceux qui avaient travaillé ensemble se réjouissaient ensemble, comme il est juste.»

Ramuz montre avec ce texte que l’une des composantes les plus magiques de nos vies tient en la répétition. Répétition du passé, répétition de gestes, répétition d’activités, répétition d’ordres et répétition de doléances, répétition de plaisirs, répétition de douleurs, de douceurs, répétition de phrases de rien du tout, du bien et du mal, autant de répétitions faisant des vendanges une véritable cérémonie. Répétition générale d’un enfant qui s’apprête à vivre la grande représentation qu’est l’existence. Répétition du cycle.

«Il faut revenir à l’enfance et se la réincorporer, si on veut avoir été pleinement; il faut avoir décrit tout le cercle pour être.
Il faut que l’homme ait ajouté à sa dernière saison cette première, qu’il y soit revenu pour un enrichissement dernier.»

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: Wikimedia CC 3.0 / Peter Berger

Charles-Ferdinand Ramuz
Vendanges
Editions de l’Aire
2020 [1927]

59 pages

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