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Accueil » «Se réjouir de la fin», une méditation sur sa propre finitude

«Se réjouir de la fin», une méditation sur sa propre finitude5 minutes de lecture

par Lauriane Pipoz
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Les bouquins du mardi – Lauriane Pipoz

Dans Se réjouir de la fin, l’écrivain vaudois Adrien Gygax nous plonge dans le journal intime d’un homme en EMS. Veuf et sans enfant, ce dernier écrit ses mémoires sous forme d’épisodes thématiques. Nous découvrons ainsi son monde qui s’éteint, plein de philosophie.

«Un résident de maison de retraite a souhaité, selon ses mots, évoquer ce qu’il appelait des ‘‘bonheurs de vieux’’. Condamné par la maladie, il a dédié ses derniers mois à la contemplation de sa propre finitude.»

Malgré les apparences, il s’agit bien d’une fiction. Gygax s’est inspiré de sa grand-mère et de son travail de consultant pour monter de toute pièce son personnage principal. A travers vingt-cinq courts chapitres – «Lâcher prise», «Rappeler des souvenirs», «Dessiner comme un enfant» ou encore «Regarder les autres manger» –, le quotidien banal d’un résident de maison de retraite est narré jusqu’à sa mort. Ou plutôt, son absence de vie.

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Car le mot d’ordre de ce récit est bien l’absence prochaine. Les choses sont abordées sous l’angle de leur disparition à venir: évanouissement progressif du poids du corps, de sa mobilité, des sens, de la mémoire… Mais jamais sous un angle pessimiste. Les récits sont construits comme de petits exemples illustrant la philosophie stoïcienne, c’est-à-dire commandant de rester serein en toutes circonstances. Le personnage principal se résigne à sa condition tout en profitant de réfléchir sur celle-ci.

«Et puis plus rien. Soudain, comme ça, plus rien. Un premier souvenir s’en va, je me relâche, un deuxième, puis tous les autres. Tous s’évadent, s’enfuient, comme des dératés. Tous disparaissent jusqu’à la prochaine fois, et ne restent dans ma mémoire vallonnée que les souvenirs éternels, ceux qui refusent de s’en aller malgré les injonctions.»

Ce petit livre est une ode au lâcher-prise. Avoir pris la plume sous la forme d’un vieux approchant la mort est une idée de génie. Quel meilleur exemple de résignation que celui d’un homme prisonnier de son corps vieillissant et pouvant constater chaque jour sa propre décrépitude? C’est également l’occasion d’aborder le rapport au temps: une histoire banale peut s’étendre sur plusieurs pages. Une attention particulière est portée à chaque détail pour nous montrer tout le temps qu’a à sa disposition le résident.

C’est certainement l’un des beaux messages de ce livre: paradoxalement, il reste parfois aux personnes en EMS beaucoup de temps devant eux. Notre homme l’emploie à profiter des différents plaisirs que la vie a encore à lui offrir. Et les plus grands résident dans l’observation de ce qui se passe autour de lui et la mise en lien de ces analyses avec sa vie passée. Une vie dont nous ne connaissons pas les grandes lignes, mais dont les anecdotes ressemblent certainement aux nôtres.

«J’étais ce grand type en Mercedes qui vivait au bas du village dans la belle maison avec la piscine. On ne sonde ni les reins ni les cœurs, le patrimoine, par contre, si. On est ce qu’on possède, ces endroits qu’on fréquente, ces bijoux qu’on porte, ces choses qu’on achète. On est l’addition de tout ce matériel qu’on empile, remplace, revend, échange. Et tant mieux! Sinon à quoi bon? C’est la vie!»

Ce sablier qui s’écoule lentement est bien sûr exacerbé par Dame Solitude. Un aspect abordé avec toute la pudeur qui caractérise le récit. On le découvre au milieu du courrier de notre vieillard, qui garde le «sentiment d’exister» à travers les enveloppes des lettres qui lui sont adressées. Une anecdote que nous devrions peut-être garder en mémoire dans la crise actuelle, où les personnes âgées se sentent particulièrement isolées, pour nous rappeler que les communications virtuelles ne sont pas forcément les seules qui sont à notre disposition.

«Les temps sont durs pour les vieux, on ne s’adresse plus vraiment à nous, ou alors par des moyens qu’on ne maîtrise pas. Génération ouvre-lettre, on ne connaît que le courrier, le papier, l’encre, l’enveloppe lestée de quelques feuilles. […] J’ai sorti la lettre de ma poche et l’ai regardée. Mon nom était écrit dessus, on m’appelait Monsieur. Cela m’a donné un farouche sentiment d’exister.»

Crédit photo: © Jordan BentonPexels

Ecrire à l’auteure: lauriane.pipoz@gmail.com

Adrien Gygax
Se réjouir de la fin
Editions Grasset
2020
112 pages

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